Une place historique pour l’Union africaine
L’adhésion permanente de l’Union africaine au G20, officialisée à New Delhi, installe le continent à la même table que les puissances les plus riches. Derrière la photographie protocolaire, se profile une question cruciale : ce siège permettra-t-il d’améliorer concrètement la vie des femmes et des filles ?
Pour Maxime Houinato, directeur régional d’ONU-Femmes pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, « la véritable mesure du succès sera l’impact sur le terrain, pas la rhétorique ». Les économies locales, de Dakar à Brazzaville, misent déjà sur l’énergie des entrepreneures pour renforcer résilience et cohésion.
Genre et finances : un levier décisif
La première bataille reste financière. Plus de soixante pour cent des femmes d’Afrique de l’Ouest et du Centre travaillent dans l’informel, souvent sans accès au crédit. Une budgétisation sensible au genre, adossée à un « pacte de financement » entre l’UA et le G20, ouvrirait de nouvelles lignes de trésorerie.
Les premiers exemples sont encourageants. Au Congo-Brazzaville, le fonds national d’appui à l’entrepreneuriat féminin, lancé en 2022, a déjà soutenu 1 200 projets agricoles et artisanaux, dont beaucoup cherchent une certification verte. Un adossement aux guichets internationaux du G20 permettrait de décupler ces initiatives ancrées dans les territoires.
Innovation numérique sans frontières
La fracture numérique demeure un frein massif. À Libreville ou Bangui, seules trois femmes sur dix disposent d’une connexion stable. Pourtant, les PME dirigées par des Africaines irriguent déjà l’agrotech, le e-commerce ou les services de télémédecine. Elles réclament surtout un Internet abordable et des compétences certifiantes.
L’initiative « African Girls Can Code », pilotée par ONU-Femmes, a formé plus de 5000 adolescentes en programmation dans 11 pays, dont la République du Congo. Un « pacte numérique pour l’égalité » proposé au G20 viserait à mutualiser infrastructure, formation et micro-crédits afin d’élargir l’impact.
Climat, paix, sécurité : l’approche intégrée
Du Sahel au bassin du Congo, changements climatiques, tensions sociales et violences armées s’entrelacent. Les femmes, souvent gardiennes des terres et de l’eau, deviennent médiatrices naturelles lors des crises. Inscrire l’agenda « Femmes, Paix et Sécurité » dans les discussions climatiques du G20 renforcerait prévention et adaptation simultanément.
Cette année marque également le 25ᵉ anniversaire de la résolution 1325 du Conseil de sécurité. Plusieurs capitales, dont Brazzaville, actualisent leurs plans nationaux d’action. L’appui technique du G20 pourrait financer des alertes communautaires sur les feux de forêt et des activités génératrices de revenus pour les déplacées.
Au-delà des discours : l’architecture d’action
ONU-Femmes articule son intervention sur trois niveaux. Au sommet, la direction du genre de l’Union africaine dialogue avec le Sherpa du G20 pour intégrer l’égalité dans chaque chapitre — finance, climat, numérique. À l’échelle régionale, les commissions CEDEAO et CEEAC harmonisent données statistiques et mécanismes de suivi.
Sur le terrain, la coopération avec les ministères congolais des Finances, du Numérique et de la Promotion de la femme se traduit par des budgets genrés, des zones Wi-Fi communautaires et des programmes de mentorat. Ces déclinaisons nationales servent de laboratoires que le G20 peut ensuite répliquer ailleurs.
Voix du terrain : le bassin du Congo témoigne
À Mossaka, rives humides de l’Alima, Colette Ondongo gère une coopérative de pépinières fruitières. « Avec un microcrédit, j’ai doublé ma production et planté des manguiers en zone inondable », raconte-t-elle. Selon elle, la visibilité offerte par l’agenda G20 attire acheteurs, assureurs et jeunes diplômés.
Non loin, dans la forêt communautaire de Kabo, des femmes pygmées suivent une formation sur la télédétection des incendies financée par un partenariat ONU-Femmes et Ministère de l’Économie forestière. Les données collectées alimentent la plateforme régionale de suivi REDD+ et démontrent l’expertise locale à partager au G20.
Trois opportunités à saisir maintenant
Premièrement, l’inclusion : veiller à ce que les femmes du Sahel comme celles du bassin du Congo participent aux délégations officielles et aux groupes de travail. Deuxièmement, l’investissement : orienter davantage de capitaux vers l’économie du soin, les énergies propres et le commerce transfrontalier pilotés par des femmes.
Troisièmement, l’influence : utiliser les stratégies africaines existantes, telle la Stratégie genre de la CEDEAO, pour fixer des attentes claires. Les décideurs du G20 disposent de mécanismes de reddition de comptes ; y greffer indicateurs genrés faciliterait le suivi, tout en valorisant les outils mis au point en Afrique centrale.
Vers un pacte féministe global
L’Afrique du Sud, qui assumera bientôt la présidence du G20, promet de placer l’égalité de genre en filigrane de chaque session. Les négociateurs congolais, attentifs, veulent garantir que les spécificités forestières et fluviales du Congo soient incluses dans les programmes climatiques et dans les nouvelles chaînes de valeur.
« Lorsque l’Afrique parle, le monde écoute », rappelle Maxime Houinato. Pour que cette voix se transforme en résultats mesurables, un pacte féministe entre l’Union africaine et le G20 doit être scellé rapidement. Les communautés attendent des faits : financements, connectivité, sécurité et climat, vus sous l’angle des droits des femmes.
La route est déjà tracée : capital humain, transformation numérique et économie verte sont les piliers retenus par l’Union africaine pour le prochain cycle quinquennal. Si le G20 les soutient, chaque village, des savanes sahéliennes aux mangroves congolaises, pourra mesurer la différence.
