Oyo, carrefour diplomatique
Dans la torpeur humide d’Oyo, Maxime Prévost a ouvert sa première tournée africaine par un tête-à-tête avec Denis Sassou Nguesso, confirmant la place discrètement stratégique du siège présidentiel congolais dans la circulation des idées sur la paix régionale et l’action climatique.
Le déplacement, officiellement consacré au renforcement d’une coopération septuagénaire, est lu par plusieurs diplomates comme un signal : la Belgique entend conjuguer sa tradition d’aide au développement avec une diplomatie climatique de proximité, en choisissant le bassin du Congo comme laboratoire continental.
Sécurité des Grands Lacs, lecture congolaise
Dès l’entretien, la question sécuritaire est apparue centrale. Maxime Prévost a salué « la posture de sage du président Sassou Nguesso », estimant que son réseau de médiation offre une lecture fine des dynamiques d’allégeance qui crispent l’Est de la République démocratique du Congo.
Bruxelles estime que l’Union africaine et les États du bassin peuvent prévenir l’effet boomerang des crises frontalières, à condition, prévient un conseiller européen, « de porter une parole unique, non alignée sur les agendas extérieurs ». Le chef de la diplomatie belge confirme soutenir cette approche régionale.
Horizon économique et corridor vert
Au-delà des symboles, plusieurs sociétés belges, déjà implantées dans la filière bois et la logistique, prospectent autour du futur corridor de Pointe-Noire. Ce couloir relierait le port en eau profonde aux marchés intérieurs, tout en intégrant des normes environnementales plus strictes que celles exigées par l’OMC.
Pour le ministère congolais du Plan, ce projet s’inscrit dans la Stratégie nationale de développement durable 2022-2031. « Il s’agit de créer des zones économiques sobres en carbone, mais compétitives », souligne un haut fonctionnaire. Les investisseurs européens attendent la finalisation des études d’impact social avant d’accélérer.
Les discussions ont aussi porté sur la fiscalité incitative : exonérations douanières pour les équipements solaires, tarifs préférentiels pour le fret ferroviaire électrifié. Selon la chambre de commerce belgo-congolaise, ces leviers pourraient réduire de 15 % les coûts logistiques des PME et renforcer la résilience des chaînes d’approvisionnement.
Le Fonds bleu, pivot financier durable
L’urgence climatique a occupé une large place. Maxime Prévost s’est déclaré prêt à instruire, via la Banque mondiale et la BAD, une contribution belge au Fonds bleu pour le bassin du Congo, né en 2017 sous l’impulsion du président congolais et soutenu par une quinzaine de pays.
Estimé à 10 milliards de dollars, le mécanisme finance la restauration des tourbières, puits de carbone majeurs. « Sans la pérennité hydrologique du bassin, aucune neutralité carbone globale n’est envisageable », rappelle la climatologue congolaise Prisca Makosso. La Belgique souhaite cibler des projets pilotes fondés sur des indicateurs vérifiables.
À Bruxelles, la coopération au développement discute déjà d’un partenariat triangulaire associant l’ONG boschervoorder Groen Fonds et la société civile congolaise pour suivre les émissions évitées. Le schéma pourrait ouvrir la voie à des obligations vertes cotées sur la Bourse de Luxembourg, adossées aux crédits carbone générés localement.
Le regard d’experts internationaux
Pour Peter Wouter, spécialiste de la Banque européenne d’investissement, « l’alliance Bruxelles-Brazzaville réaffirme que la diplomatie climatique devient un terrain de convergence Nord-Sud, plus qu’un registre d’assistance ». Il souligne la valeur géopolitique d’un bassin forestier qui séquestre davantage de carbone que l’Amazonie par hectare.
De son côté, l’économiste congolaise Ayaba Ngakala note que l’arrivée de capitaux belges, s’ils sont adossés à des critères ESG robustes, pourrait « normaliser » le coût du capital vert en Afrique centrale, souvent supérieur de trois points au reste du continent à cause du risque perçu.
Vers un agenda commun Congo-Belgique
La visite s’est achevée sur une image bucolique : les délégations nourrissant des tilapias dans un étang de N’Golodoua-les-Bains. Derrière la scène champêtre, les deux capitales ont convenu de se retrouver dès novembre à Bruxelles pour un forum consacré à la finance bleue et à la mobilité durable.
Un projet d’accord-cadre doit formaliser les points listés à Oyo : coopération sécuritaire, gestion intégrée des forêts, gouvernance portuaire et transfert de technologies propres. Selon une source à la primature congolaise, la signature dépendra de la capacité à arrimer les nouveaux engagements aux plans nationaux existants.
Pour l’heure, l’opinion congolaise perçoit favorablement cette réactivation, estime le sociologue Urbain Loundou. Il y voit « un redéploiement de la coopération classique vers des logiques de co-investissement ». La présence d’acteurs privés, plutôt que l’aide budgétaire, dessinerait un modèle de partenariat plus symétrique.
Au-delà de l’événement protocolaire, la rencontre d’Oyo illustre une tendance mondialisée : la diplomatie verte se construit désormais autant par des gestes de proximité que par des sommets onusiens. Dans ce jeu, le Congo et la Belgique avancent leurs pions, misant sur la convergence des intérêts économiques et écologiques.
Les observateurs retiennent surtout la méthode : associer, dès la genèse des projets, universités, collectivités, ONG et entreprises. Cette gouvernance polycentrique pourrait, selon l’Institut congolais de la transition écologique, accélérer l’appropriation locale et garantir que chaque franc investi génère un co-bénéfice social mesurable.