Enquête express à Dolisie
Dans la salle du tribunal de grande instance de Dolisie, l’atmosphère reste suspendue à l’annonce attendue du 24 octobre 2025. Deux jeunes Congolais reconnaissent avoir transporté quatre pointes d’ivoire, l’équivalent de deux éléphants abattus, une espèce intégralement protégée.
L’arrestation, le 4 octobre, est l’aboutissement d’une opération conjointe menée par la gendarmerie, la Direction départementale de l’économie forestière et le Projet d’appui à l’application de la loi sur la faune sauvage, connu sous l’acronyme PALF.
Loi congolaise, bouclier des éléphants
L’article 27 de la loi sur la faune et les aires protégées interdit strictement l’importation, la détention et la commercialisation de trophées d’espèces intégralement protégées, sauf dérogation scientifique. Le texte prévoit jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et cinq millions de FCFA d’amende.
Pour Me Albert Mavinga, avocat au barreau de Dolisie, « la sévérité de la loi reflète la volonté nationale de préserver un patrimoine naturel héritier des générations futures ». Selon lui, un verdict exemplaire renforcerait la dissuasion autour du commerce illégal d’ivoire.
Un trafic transfrontalier en mutation
L’enquête révèle un trajet Gabon-Congo via le village frontalier de Mabanda. De petits réseaux mobiles remplacent les anciennes filières structurées, rendant la détection plus complexe. Les agents forestiers notent une hausse des transports par motos-taxis et bus interurbains, moins contrôlés que les camions.
D’après les données du réseau Traffic, le kilogramme d’ivoire brut se négocie jusqu’à 120 000 FCFA en zone urbaine, un revenu bien supérieur aux activités agricoles locales. Cette disparité économique entretient l’attrait d’un commerce pourtant frappé d’interdiction mondiale depuis 1989.
En juillet 2024, les douanes de Ndende, côté gabonais, ont intercepté 18 kilogrammes d’ivoire dissimulés dans des sacs de haricots. L’affaire, reliée aux mêmes réseaux, montre que la frontière sud-ouest demeure l’un des points chauds de la sous-région.
Voix de la communauté de Niari
À Kibangou, village voisin, le chef traditionnel Mbemba Danko confie qu’« un éléphant rapporte plus aux braconniers qu’un hectare de manioc, mais coûte un futur au tourisme et à nos cours d’eau ». Il plaide pour davantage de projets générateurs de revenus durables.
Depuis 2022, une coopérative féminine transforme les écorces de moabi en savon artisanal. Soutenue par l’ONG Espaces verts du Niari, l’initiative emploie vingt-cinq jeunes et reverse 5 % de son chiffre d’affaires à un fonds communautaire de surveillance anti-braconnage.
Technologie et coopération : nouvelles armes
Les responsables de PALF testent actuellement des capteurs acoustiques capables de détecter les coups de fusil jusqu’à trois kilomètres dans la forêt dense. Connectés à un réseau satellitaire, ils transmettent en temps réel aux postes de la gendarmerie les coordonnées précises des tirs.
Parallèlement, l’Agence congolaise de la faune et des aires protégées forme des éco-gardiens à l’usage de drones légers. Cet appui logistique, financé par le Fonds bleu pour le bassin du Congo, doit couvrir à terme la quasi-totalité des forêts communales du Niari.
Le programme prévoit aussi une plateforme de données ouvertes reliant les inventaires fauniques, les incidents et les décisions de justice. Le public pourra consulter les condamnations anonymisées, un pas vers plus de transparence exigé par les organisations de jeunesse environnementale.
Vers un jugement exemplaire ?
Le procureur Wa Kama estime que « l’acceptation des faits par les prévenus est un pas vers leur réinsertion, mais n’efface pas l’impact irréversible de leurs actes ». La partie civile, représentée par le ministère de l’Économie forestière, réclame la peine maximale.
Les avocats de la défense sollicitent, eux, des travaux d’intérêt général axés sur la restauration des couloirs écologiques d’Odzala-Kokoua. Cette option, prévue par un décret de 2023, combine réparation environnementale et réinsertion sociale, mais reste encore rarement appliquée par les tribunaux.
Promesses d’économie verte locale
Dans la ville ferroviaire de Dolisie, l’annonce du procès a ravivé le débat public autour de la valeur économique de la faune vivante. Le lycée technique Louis-Pasteur a organisé une exposition sur les métiers du tourisme de nature, attirant plus de 800 élèves.
Pour Carine Loukaka, professeure d’économie, « chaque éléphant vivant pourrait générer des centaines d’emplois indirects, si les circuits d’écotourisme se consolidaient ». Elle cite l’exemple de Loango au Gabon, où les revenus communautaires ont doublé depuis l’interdiction formelle du commerce d’ivoire.
Les autorités locales envisagent désormais un plan d’aménagement écotouristique de la réserve de Mayombe. Le projet inclurait des sentiers balisés, un centre d’interprétation et des bourses de formation pour les guides issus des villages riverains, afin de transmettre la connaissance des écosystèmes forestiers.
Une étude de l’Université Marien-Ngouabi, attendue fin 2025, quantifiera les bénéfices économiques des écosystèmes forestiers du Niari. Les chercheurs intègrent les services de pollinisation, la régulation hydrologique et le potentiel carbone, afin d’orienter les investisseurs vers des filières sobres.
Si le tribunal confirme la peine maximale, elle deviendra l’une des plus fortes jamais prononcées à Dolisie pour trafic d’ivoire. Au-delà du symbole, l’enjeu est de montrer qu’une économie bâtie sur la conservation offre plus de perspectives qu’un commerce illégal risqué.
									 
					