Brazzaville se penche sur la traçabilité du bois
Sous une chaleur encore humide de fin de saison sèche, trente représentants de ministères, sociétés forestières et associations locales ont passé deux jours, à Brazzaville, à ausculter chaque maillon de la filière bois pour comprendre où se nichent les risques de corruption.
À l’initiative de la Rencontre pour la paix et les droits de l’homme, l’atelier a convoqué les savoirs croisés de juristes, auditeurs, exploitants et chefs coutumiers, rappelant qu’une gouvernance forestière robuste reste l’un des piliers du Plan national de développement 2022-2026.
Objectif affiché : bâtir une chaîne d’approvisionnement totalement traçable, capable de répondre aux attentes des marchés internationaux sans perdre de vue les communautés qui vivent de la forêt, deuxième poumon économique national après les hydrocarbures.
Un projet régional adossé au marché chinois
Le programme soutenu par l’agence norvégienne NORAD et mis en œuvre par Traffic s’intègre dans un projet plus large visant à garantir la légalité du bois exporté vers la Chine, premier acheteur de grumes africaines et aiguillon constant pour les réformes.
« Appuyer les pays producteurs, c’est assurer qu’aucun mètre cube douteux ne franchisse nos ports », résume Patrice Kamkuimo, responsable gouvernance chez Traffic, insistant sur l’importance des données partagées entre Douala, Pointe-Noire et Shanghai pour détecter les anomalies logistiques.
Concrètement, l’atelier a passé en revue les logiciels de traçabilité existants, les protocoles d’audit indépendant et les procédures douanières, avant d’esquisser une feuille de route commune qui devra être validée par le ministère de l’Économie forestière.
Pour Christian Mounzéo, coordinateur de la RPDH, « la technologie ne suffit pas ; il faut aussi bâtir une culture de l’intégrité du coupeur au transitaire ». D’où l’idée d’ateliers décentralisés prévus à Ouesso, Impfondo et Dolisie dès le premier trimestre 2026.
L’engagement de l’État et l’appel des ONG
La présence de Maixan Guillaume Tabaka, inspecteur général des services de l’économie forestière, a rassuré les participants sur la volonté de l’État d’accompagner le secteur privé dans la modernisation de ses pratiques tout en faisant respecter la loi.
« Les défis ne sont pas une fatalité », a-t-il rappelé, citant l’Accord de partenariat volontaire conclu avec l’Union européenne comme un cadre déjà opérationnel pour certifier la légalité des volumes exportés et renforcer la confiance des acheteurs.
Les ONG ont salué cet engagement, tout en signalant l’importance de financer les missions de terrain et de publier en ligne les permis, les taxes versées et les plans d’aménagement, afin que les communautés puissent vérifier ce qui sort réellement de leurs terroirs.
Développer un journal officiel numérique des forêts, couplé à un portail citoyen de signalement, fait partie des propositions déposées sur la table. Le ministère a indiqué étudier la compatibilité avec les infrastructures numériques déjà déployées pour la douane et les finances publiques.
Vers un code éthique partagé par les entreprises
Les participants ont convenu d’élaborer d’ici six mois un code éthique sectoriel aligné sur les standards ISO 26000 et la norme FSC, intégrant des clauses anticorruption, des mécanismes de médiation communautaire et un barème de sanctions graduées acceptées par tous.
Du côté des entreprises, la Fédération des industriels du bois voit dans cet outil une manière de prouver sa bonne foi aux banques, dont les exigences ESG se renforcent. « L’accès au crédit passera demain par la conformité », a commenté un cadre de la filière.
La société civile, elle, insiste pour que le futur code s’accompagne d’indicateurs mesurables, publiés chaque trimestre. Le document devrait aussi préciser les droits d’usage traditionnel, évitant que les communautés se voient privées de bois énergie ou de chantiers locaux.
Des ateliers pratiques sur la négociation de contrats tripartites, réunissant entreprises, État et chefs de village, sont déjà programmés. Ils viseront à clarifier le partage des bénéfices, l’entretien des pistes et le reboisement systématique après coupe industrielle.
Impact attendu pour les communautés et le climat
À moyen terme, les concepteurs du projet estiment que la traçabilité intégrale pourrait réduire de 30 % les pertes fiscales et accroître l’attractivité du label « Made in Congo » sur les marchés européens en quête de matériaux bas-carbone.
Les communautés de Sangha et de la Likouala, déjà impliquées dans des projets pilotes, espèrent surtout voir leurs droits sécurisés. « Si les normes sont respectées, nos forêts vivront plus longtemps que nous », témoigne Pauline Likibi, conseillère municipale à Ouesso.
Rendez-vous est pris pour la prochaine session à Brazzaville. D’ici là, les partenaires multiplieront les récoltes de données satellites, les contrôles inopinés et les médiations villageoises, convaincus qu’une filière bois vertueuse reste un levier majeur de croissance durable pour le Congo.
Selon les experts du Centre national d’inventaire et d’aménagement des ressources forestières et fauniques, l’usage systématique des drones pourrait à lui seul diminuer de moitié les infractions liées au transport nocturne de grumes.
L’atelier a également mis en avant la nécessité d’un fonds rotatif dédié aux petites scieries villageoises, pour financer la certification et la modernisation des équipements, garantissant que la montée en gamme ne profite pas qu’aux grands concessionnaires.
