Un think tank enraciné dans le Bassin du Congo
Le Centre d’études stratégiques du bassin du Congo, fondé en 2005 à Évry mais désormais installé à Brazzaville, vient de célébrer vingt années d’activité scientifique. Porté par le professeur Aimé Dieudonné Mianzenza, ce laboratoire d’idées s’impose comme une voix incontournable de l’expertise régionale.
Né pour appuyer les doctorants africains, le CESBC a élargi son champ d’action vers l’analyse des politiques publiques, les questions climatiques et la biodiversité. Fonctionnant grâce au bénévolat et aux cotisations, il revendique une indépendance intellectuelle renforcée par une gouvernance collégiale.
Le carbone, nouvel horizon financier
Pour marquer son anniversaire, l’organisation a réuni chercheurs, hauts fonctionnaires et opérateurs privés autour d’une table ronde consacrée au financement carbone. Le modérateur, le Dr Jean Bakouma, a rappelé que la finance climatique se positionne désormais comme levier central des engagements internationaux.
Le professeur Mianzenza a défini le budget carbone comme « le compte d’émissions qu’il reste à l’humanité ». À partir de ce concept, le CESBC propose de valoriser le rôle des forêts congolaises dans la séquestration naturelle, afin de dégager de nouvelles marges budgétaires nationales.
Les intervenants ont souligné que le prix actuel du crédit carbone reste insuffisant pour financer les infrastructures vertes au Congo. Entre attractivité limitée des fonds publics et volatilité des marchés, les pays forestiers du Bassin doivent inventer une approche hybride, compatible avec leurs priorités de développement.
Des données pour des politiques publiques éclairées
Pour étayer ses arguments, le centre s’appuie sur une bibliothèque numérique regroupant plus de cent mille thèses et des milliers de rapports. Cet entrepôt documentaire, alimenté quotidiennement, permet d’actualiser les scénarios climatiques et socio-économiques utilisés par les ministères et les partenaires techniques.
« Nous misons sur l’évidence empirique plutôt que sur l’intuition », insiste le Dr Sidonie Matokot Mianzenza. Cette orientation s’inscrit dans la montée en puissance du decision-science, un courant qui rapproche les savoirs académiques des arbitrages budgétaires pour optimiser l’allocation des ressources publiques.
Dialoguer avec l’État et le marché
Les débats ont montré l’importance d’une articulation fine entre régulation publique et mécanismes marchands. En plaidant pour un « nouveau pacte financier », le CESBC suggère de combiner fonds concessionnels et instruments privés, afin de renforcer la sécurité des investisseurs sans alourdir la dette souveraine.
Selon des responsables du ministère de l’Économie présents, l’État congolais étudie déjà plusieurs scénarios de tarification carbone. Le think tank propose d’y adjoindre des clauses de partage de valeur qui garantissent la participation des communautés locales à la rénovation des services fondamentaux.
Sur le plan international, les experts rappellent l’opportunité offerte par l’Initiative mondiale pour les marchés forestiers, qui pourrait reconnaître les crédits issus de projets communautaires. « L’enjeu est de transformer l’avantage écologique en dividende social », résume un consultant basé à Kinshasa.
Former les élites de demain
Au-delà des analyses, le CESBC accompagne la publication de travaux universitaires grâce à sa maison d’édition CesbcPresses. Soixante-sept ouvrages sont déjà parus, dont plusieurs manuels sur la transition énergétique congolaise signés par l’ingénieur Raoul Maixent Ominga.
Le catalogue des thèses congolaises, publié en 2023, offre un panorama inédit des compétences nationales. Pour les diplomates, ce référencement facilite l’identification d’experts lors des négociations climatiques, un atout stratégique alors que s’esquisse la phase opérationnelle des Contributions déterminées au niveau national.
Le centre organise aussi des webinaires bilingues destinés aux jeunes chercheurs. Ces rendez-vous abordent la modélisation du stockage carbone, l’économie circulaire ou l’analyse coût-bénéfice des projets hydroélectriques. Ils visent à insuffler une culture de rigueur méthodologique et de responsabilité sociétale.
Défis et pistes de réforme
Malgré ces réussites, les participants reconnaissent que la transparence des données forestières reste perfectible. Une plate-forme satellite visant à mieux calibrer les inventaires de biomasse est en phase pilote, avec l’appui de la Commission économique pour l’Afrique et du Centre national de la cartographie.
Sur le front financier, l’intégration de critères ESG dans les appels d’offres publics apparaît comme priorité. Le CESBC recommande un dispositif progressif qui valorise d’abord la performance environnementale, afin de préserver la compétitivité tout en orientant le tissu productif vers une décarbonation mesurable.
Le think tank plaide également pour la création d’un Observatoire du marché carbone régional. Cet outil diffuserait les prix de référence et les méthodologies d’audit, réduisant l’asymétrie d’information qui freine aujourd’hui l’entrée des PME congolaises dans les chaînes de valeur vertes internationales.
Enfin, l’institution souhaite intensifier le dialogue Sud-Sud. Les expériences du Gabon en matière de fonds souverain vert ou celles du Rwanda sur les obligations climatiques constituent, selon elle, des laboratoires pertinents dont la République du Congo peut s’inspirer sans renoncer à ses spécificités.
Vingt ans après sa création, le CESBC se positionne donc comme catalyseur d’idées et d’outils au service de la transition congolaise. Sa stratégie, fondée sur la science, l’inclusivité et l’ouverture, devrait continuer d’irriguer les politiques climatiques régionales dans les prochaines décennies.