Sécurisation foncière, une urgence partagée
À Brazzaville, fin octobre 2025, l’atelier coorganisé par le REPALEAC et la FAO a mis la question foncière autochtone au centre des débats. Autour des tables, décideurs, chercheurs et leaders communautaires ont dressé le même constat : l’urgence est palpable.
Les terres traditionnellement occupées par les peuples autochtones restent trop souvent sans titre, exposées aux expropriations et aux coupes incontrôlées. Or ces espaces forment un tampon vital pour la forêt du bassin du Congo, deuxième poumon vert de la planète après l’Amazonie.
Cartographier les espaces autochtones
Premier jalon fixé par l’atelier : savoir précisément où se trouvent les villages, les parcours de chasse, les sites sacrés. Joseph Itongwa Mukumo a insisté sur la cartographie participative, « un outil qui donne une voix visuelle aux communautés et clarifie le dialogue ».
Des techniciens congolais et camerounais formeront des jeunes à l’usage de drones légers et de GPS ouverts. Les données seront croisées avec les images Sentinelle pour produire des cartes vivantes, mises à jour tous les six mois, directement consultables dans les villages connectés.
La valeur écologique des territoires coutumiers
Les chercheurs du Centre de suivi écologique d’Afrique centrale rappellent qu’une forêt tenue par un clan autochtone stocke en moyenne 30 % de carbone de plus qu’une concession commerciale équivalente. Les pratiques coutumières limitent l’ouverture de clairières et préservent les essences rares.
« Nous ne protégeons pas seulement des arbres ; nous protégeons nos histoires », explique Mama Odette, aînée du district de Ngombé, venue témoigner. Son propos a illustré la convergence entre conservation scientifique et maintien du lien culturel, deux faces d’une même durabilité.
Partenariat FAO-REPALEAC, mode d’emploi
La FAO s’est engagée à fournir une assistance technique sur les normes foncières volontaires et à mobiliser des fonds climat dédiés. L’accord prévoit l’élaboration d’indicateurs mesurables pour suivre le nombre d’hectares sécurisés et les revenus additionnels générés par les familles.
Le REPALEAC jouera le rôle de plateforme régionale, facilitant le partage d’expériences entre les huit pays présents. Son secrétariat pilotera une base de données ouverte, recensant les avancées, les blocages juridiques et les solutions de terrain validées par les communautés.
Voix venues des huit pays
Des délégués du Gabon au Tchad ont décrit des réalités diverses, mais un même souhait : plus de reconnaissance légale. Au Congo, la loi de 2021 sur la promotion et la protection des peuples autochtones offre un cadre que beaucoup veulent voir appliqué pleinement.
Félix Ndoukou, juriste congolais, rappelle toutefois que l’enregistrement d’un titre collectif nécessite aujourd’hui jusqu’à six formulaires administratifs. « Nous avons besoin de guichets uniques dans chaque préfecture », propose-t-il, soulignant les efforts déjà amorcés par le ministère en charge des affaires foncières.
Vers une feuille de route régionale
Les participants ont validé un projet de feuille de route en cinq étapes allant de la sensibilisation communautaire à la certification carbone. Chaque pays désignera un point focal chargé de rendre compte trimestriellement des progrès et de l’utilisation des soutiens financiers internationaux.
Un volet communication encouragera les médias locaux à suivre les avancées. « La transparence crée la confiance », souligne la journaliste centrafricaine Diane Ngboko. Des capsules radio en langues vernaculaires expliqueront les procédures de demande de titres et les recours possibles en cas de litige.
Quels bénéfices pour le climat mondial ?
Selon une note conjointe COMIFAC-FAO, sécuriser quatre millions d’hectares autochtones pourrait éviter l’émission de 200 millions de tonnes de CO2 d’ici 2035, soit l’équivalent des émissions annuelles de la France. L’effet d’entraînement dépasserait largement les frontières de la sous-région.
Les financeurs climat recherchent aujourd’hui des projets immédiatement mesurables. En connectant droits fonciers et capacités de séquestration, l’Afrique centrale offre un modèle prêt à l’investissement, rappelle le consultant financier Rodrigue Okemba, convaincu qu’« une gouvernance juste attire plus sûrement le capital ».
Appuis techniques et financements attendus
Pour passer à l’échelle, les organisateurs visent le Fonds vert pour le climat, mais aussi des bailleurs bilatéraux. Un dossier commun sera déposé avant juin 2026, avec un budget indicatif de 80 millions USD consacré aux titres fonciers, à la formation et à l’innovation numérique.
Le ministère congolais de l’Économie forestière a indiqué sa disponibilité à accueillir un projet pilote dans la Likouala. Cette annonce renforce la dynamique collective et témoigne de la volonté de l’État d’impliquer pleinement les communautés dans ses stratégies nationales de conservation.
Restaurer dignité et futur
En clôturant les travaux, le coordonnateur régional a souligné que la sécurisation ne se limite pas à des actes notariés. « Il s’agit de restaurer la dignité et de garantir un futur prospère à tous ». Un engagement que les participants ont applaudi, debout.
Les trois journées n’ont pas tout résolu, mais elles ont ouvert une trajectoire claire : associer science, coutumes et politiques publiques pour faire des terres autochtones un rempart durable contre la déforestation, au profit des communautés et du climat mondial.
Prochain rendez-vous
Un suivi sera réalisé à Yaoundé en novembre 2026 pour évaluer les premiers résultats et ajuster les outils proposés durant le conclave de Brazzaville.
