Justice et faune : un signal fort
Les 15 et 16 octobre, les prétoires d’Owando puis d’Impfondo deviennent la scène d’une bataille décisive pour la faune congolaise.
Deux dossiers de trafic d’ivoire, de peaux de panthère et d’écailles de pangolin y sont appelés, sous le regard conjoint du ministère de la Justice, des Eaux et Forêts et des communautés qui vivent au contact direct des espèces menacées.
Un butin parti d’Etoumbi
Le premier prévenu, arrêté le 29 novembre 2024, aurait parcouru plus de 150 kilomètres entre la sous-préfecture d’Etoumbi et Owando pour dissimuler trois pointes d’ivoire, lourdes de la mort de deux jeunes éléphants, symbole de la forêt équatoriale.
Selon la gendarmerie, l’homme avait conservé le trophée dans une maison de fortune afin de le négocier à un acheteur de passage, pratique révélatrice d’un marché latent que les réseaux criminels alimentent souvent par petites quantités pour passer sous les radars.
Impfondo : peaux de panthère et griffes de pangolin
Vingt-deux jours plus tôt, une commerçante d’Impfondo était appréhendée avec deux peaux entières de panthère, un sac d’écailles et des griffes de pangolin, espèces dont le déclin inquiète autant les biologistes que les chasseurs traditionnels.
Elle aurait, toujours d’après le procès-verbal, reçu la marchandise le long du fleuve Oubangui, principal axe de transport fluvial où circulent marchandises légales et cargaisons illicites, avant de planifier une revente à Brazzaville via la route.
Des peines exemplaires attendues
La loi 37-2008 sur la faune et les aires protégées fixe des peines pouvant atteindre cinq ans de prison ferme et cinq millions de francs CFA d’amende.
Pour Me Fabrice Kindoula, avocat au barreau de Pointe-Noire, l’affaire est « l’occasion de rappeler que le trafic d’espèces protégées n’est pas un délit mineur mais une atteinte grave au patrimoine national ».
Une coopération inter-services renforcée
Les arrestations ont été menées conjointement par la gendarmerie, la direction départementale des Eaux et Forêts et le Projet d’appui à l’application de la loi sur la faune sauvage, financé par plusieurs partenaires internationaux.
Le commandant Hervé Mouanda souligne que « le partage d’informations et les patrouilles mixtes ont doublé depuis janvier, ce qui explique la hausse des saisies dans la Cuvette et la Likouala ».
Coopération transfrontalière
Parce que les frontières forestières sont poreuses, des officiers de la République du Congo et de la République centrafricaine ont signé en juillet un protocole d’échange d’informations qui a déjà permis l’interception de trois cargaisons suspectes sur la piste Impfondo-Mobaye.
Le capitaine centrafricain Léon Ndambi note que « l’effritement du braconnage n’est possible que si l’on retire aux trafiquants leur sentiment d’impunité à cheval sur deux juridictions », saluant la cérémonie de destruction publique d’ivoire organisée à Bangui en août.
Biodiversité en péril, économies locales aussi
Les éléphants jouent un rôle crucial dans la dispersion des graines à large distance, tandis que le pangolin régule des populations d’insectes nuisibles aux cultures.
Lorsque ces espèces disparaissent, les producteurs de cacao ou de manioc subissent une baisse de rendement, rappelle la chercheuse Marie-Angélique Ntondo de l’Université Marien-Ngouabi, plaidant pour « un maillage serré entre conservation et développement rural ».
Sensibilisation et alternatives économiques
À Etoumbi, une coopérative pilote transforme désormais les noix de safoutier en beurre cosmétique, offrant des revenus alternatifs aux jeunes autrefois tentés par la chasse illégale.
Financée par le Fonds bleu pour le Bassin du Congo, l’initiative prévoit d’absorber cinquante nouveaux membres en 2025 et d’introduire des formations sur la chaîne de valeur du cacao certifié.
Le rôle de la technologie
La société civile expérimente des capteurs acoustiques capables de détecter des coups de feu dans un rayon de cinq kilomètres, technologie déjà testée dans le parc d’Odzala-Kokoua et promise à la Likouala d’ici peu.
Les données sont transmises en temps réel à un centre de commandement qui alerte les brigades fluviales et terrestres, réduisant le temps d’intervention et la probabilité d’évasion des trafiquants.
En parallèle, les images satellites Sentinel-2, analysées par le Centre national de télédétection, montrent une baisse de 12 % des abattis brûlis illégaux dans la Likouala depuis la mise en place d’une plateforme en ligne consultable par les magistrats instructeurs.
Vers une jurisprudence dissuasive
Le procureur d’Owando entend requérir la peine maximale, histoire d’asseoir une jurisprudence qui, à terme, pourrait servir de référence aux tribunaux de Dolisie ou d’Ewo confrontés à la même criminalité.
« Un jugement juste mais ferme encouragera les citoyens à signaler les trafics et dissuadera les acheteurs », estime Clarisse Okou, coordinatrice du Réseau congolais pour la conservation communautaire, qui appelle à doubler les numéros verts anti-braconnage.
Contacts et procédures utiles
Tout témoin d’un commerce suspect peut composer le 1400, numéro gratuit de la gendarmerie, ou se rendre dans la maison forestière la plus proche, un procès-verbal étant systématiquement dressé sans divulgation d’identité.
Les ONG locales rappellent que le Code de procédure pénale prévoit une récompense financière lorsque la dénonciation conduit à la saisie effective d’un produit faunique, mesure encore méconnue que ces audiences permettront de populariser.
La prochaine étape consiste à connecter ces données aux procureurs via un tableau de bord, projet pilote attendu pour mars prochain.
