Pointe-Noire, carrefour des protecteurs
La grande salle d’un hôtel du centre de Pointe-Noire a fait le plein, du 9 au 10 octobre, pour un atelier inédit consacré à la protection des défenseurs des droits humains et environnementaux d’Afrique centrale.
Baptisée Lead, pour Réseau des leaders, activistes et défenseurs de l’environnement, l’initiative vise à fédérer les voix locales afin qu’elles pèsent davantage dans les négociations climatiques internationales, notamment celles pilotées par la Convention-cadre des Nations unies.
Pendant deux jours, représentants d’ONG de Pointe-Noire, Brazzaville et Nkayi ont échangé avec des militants connectés depuis le Gabon, l’Angola, le Tchad, la RDC et la Centrafrique, démontrant la dimension véritablement régionale de la rencontre.
« Nous voulons que chaque gardien de forêt se sache soutenu, même dans les zones les plus reculées », résume Yvan Kibangou Ngoy, directeur exécutif de Global Participe, structure congolaise à l’origine de l’événement.
Cartographie des menaces régionales
Les participants ont d’abord dressé une cartographie des menaces : surveillance numérique, poursuites judiciaires abusives, tensions foncières autour de concessions minières ou forestières, mais aussi isolement des communautés rurales privées d’accès rapide à l’assistance juridique.
Si les attaques physiques restent rares au Congo-Brazzaville, plusieurs intervenants signalent des pressions économiques, comme la suspension de petites activités génératrices de revenus, qui dissuadent les riverains de témoigner dans les dossiers environnementaux sensibles.
Le constat rejoint les statistiques publiées par l’ONG Global Witness, lesquelles soulignent une hausse de 20 % des incidents visant des défenseurs en Afrique centrale entre 2021 et 2022, principalement autour des projets extractifs.
« Sans données précises, impossible de plaider efficacement auprès des décideurs », rappelle une chercheuse de l’Université Marien-Ngouabi, invitée pour présenter une méthodologie de collecte participative inspirée des sciences citoyennes.
Plateforme sous-régionale en gestation
Au cœur des échanges, la question de la reconnaissance légale d’une future plateforme sous-régionale a suscité un consensus : l’enregistrement auprès de la CEEAC offrirait un cadre institutionnel clair et favoriserait l’accès aux financements climatiques.
Des juristes congolais proposent déjà une feuille de route en trois étapes : statuts harmonisés, comité transnational et mécanisme d’alerte rapide pour notifier tout risque pesant sur un défenseur, avec relais direct vers les autorités compétentes.
Le ministère congolais de l’Économie forestière, invité en qualité d’observateur, a salué l’approche collaborative. Un représentant a rappelé la disponibilité des services techniques pour appuyer la démarche, notamment via le système national de suivi REDD+.
Pour Pierre Ngoma, expert du PNUD présent sur place, l’initiative ouvre « une passerelle entre les aspirations communautaires et les mécanismes de financement basés sur les résultats, encore trop peu utilisés par les organisations de terrain ».
Autorités et secteur privé impliqués
Au-delà des textes, les participants insistent sur la nécessité de renforcer la formation des forces de l’ordre aux droits environnementaux, afin de prévenir les interpellations arbitraires lors des missions de terrain dans les zones forestières sensibles.
Plusieurs radios communautaires se sont proposées pour diffuser des messages de prévention en langues locales, rappelant que la loi congolaise reconnaît le droit de tout citoyen à un environnement sain et à l’information publique.
Le secteur privé n’a pas été oublié : une table ronde a réuni des entreprises forestières certifiées FSC et des sociétés pétrolières offshore venues partager leurs bonnes pratiques de dialogue communautaire et de gestion des plaintes.
Au terme des discussions, un cahier d’engagements volontaires a été signé ; il prévoit, entre autres, la mise à disposition de petites bourses pour l’équipement numérique des sentinelles écologiques et l’organisation d’ateliers juridiques mobiles dans les districts côtiers.
Feuille de route : actions et perspectives
Sur le terrain, la première action sera un test pilote à Tchiamba-Nzassi, où les communautés riveraines du Parc marin de Conkouati-Douli formeront une brigade de veille couplée à une appli mobile de signalement, développée par des étudiants congolais.
Un comité scientifique veillera à la qualité des données avant leur transfert vers la plateforme régionale, étape jugée essentielle pour valoriser les efforts locaux dans les rapports destinés au Fonds vert pour le climat.
Les jeunes jouent un rôle central : l’Université catholique de Louvakou a proposé de consacrer son prochain hackathon à la création d’outils numériques de protection des défenseurs, tandis qu’un média étudiant couvrira l’événement pour assurer la pédagogie.
À moyen terme, Lead ambitionne de publier un rapport annuel sur l’état des défenseurs environnementaux d’Afrique centrale, document qui pourrait servir de référence pour les bailleurs et encourager des financements verts mieux orientés.
« Nous avançons étape par étape, en dialogue avec les autorités et les acteurs économiques, car la transition écologique ne peut réussir sans un environnement sûr pour ceux qui la portent », conclut Yvan Kibangou Ngoy.
Cette dynamique, saluée par de nombreux observateurs, illustre la capacité du Congo à ancrer la diplomatie climatique dans les réalités territoriales, tout en contribuant à l’image positive de la sous-région sur la scène internationale.
