Un spécimen hors norme éveille la curiosité
Dans la nuit du 8 septembre, une pirogue de Songolo a ramené une raie losange de près de trois mètres, estimée à deux quintaux. L’animal, vivant mais affaibli, a été hissé à grand-peine sur le sable après une heure de traction collective.
Au petit matin du 19 septembre, la plage du 2e arrondissement s’est transformée en théâtre d’étonnement. Étudiants, vendeuses et touristes se sont rassemblés autour du poisson cartilagineux, immortalisant la scène à coups de téléphones portables avant que le marché ne s’anime.
« Nous pensions à un requin », confie Jonas, marin de 24 ans, rappelant que les captures exceptionnelles créent toujours une ruée vers le poisson frais. La surprise a vite laissé place aux questions sur la rareté de l’espèce et son sort final.
Selon la légende locale, ce « monstre marin » réapparaîtrait tous les six mois. Les pêcheurs y voient un signe de prospérité, mais les biologistes rappellent que la récurrence peut plutôt traduire un dérèglement des zones de nourrissage.
Entre tradition halieutique et responsabilité écologique
À Pointe-Noire, la pêche artisanale fait vivre plus de 15 000 familles. Les prises spectaculaires sont synonymes de revenus rapides, surtout face à la hausse du prix du gasoil et des filets. Pourtant, la pression sur les ressources s’accentue chaque saison.
Françoise, mareyeuse depuis quinze ans, explique que « les gros poissons se font rares ». Les embarcations s’éloignent toujours plus, ressenti confirmé par les journaux de bord consultés par le Centre de recherche halieutique de Pointe-Noire. Les captures de raies auraient chuté de 30 % en dix ans.
Face à ce constat, les chefs de coopératives balaient toute intention de surpêche volontaire. « Nous ne jetons pas nos filets pour détruire », assure Dimitri, piroguier. Ils plaident pour un accompagnement technique afin de pouvoir libérer les individus menacés sans risquer les blessures provoquées par l’aiguillon venimeux.
Les scientifiques alertent sur la fragilité des raies
Le biologiste marin Ange Mabiala rappelle que les raies grandissent lentement, se reproduisent tardivement et supportent mal la mortalité accidentelle. « Leur disparition pourrait déstabiliser toute la chaîne trophique côtière », avertit-il.
Les laboratoires de l’Université Marien-Ngouabi analysent régulièrement l’état des stocks à partir de biopsies. Les marqueurs isotopiques indiquent une baisse de la diversité génétique chez plusieurs espèces proches de la raie losange, signe d’une population sous stress.
Parce qu’elle n’est pas agressive, la raie est souvent confondue avec les pastenagues dont l’aiguillon est redouté. Les chercheurs insistent donc sur la formation des pêcheurs pour reconnaître l’espèce et éviter la mise à mort systématique.
Des zones marines protégées en renfort
Le ministère de l’Économie bleue travaille à l’extension du parc marin de Loango jusqu’aux abords de Pointe-Noire. Le projet, soutenu par le Fonds pour l’environnement mondial, réserverait 20 000 hectares au repos biologique des raies et des requins.
Une patrouille conjointe de la Marine nationale et des éco-gardiens locaux est déjà opérationnelle sur la bande côtière. Les premières données satellitaires montrent une diminution notable des engins de pêche non déclarés autour du périmètre test.
Pour les communautés, l’enjeu est double : préserver les frayères et garantir que les bénéfices du futur écotourisme reviennent en partie aux villages. Les autorités rassurent : un mécanisme de partage des revenus est en discussion avec les conseils de quartier.
Que faire face à un animal protégé ?
La Direction générale de l’environnement recommande de prendre des gants épais et de maintenir l’animal dans l’eau tant que possible, le temps d’appeler le 117 sous-préfecture ou le 140 maritime. Cette mesure simple évite les blessures et favorise la survie de la raie.
Des ONG comme Mavula distribuent désormais des fiches plastifiées indiquant la bonne manipulation des poissons cartilagineux. « Nous avons déjà formé quatre-vingts équipages », remarque sa coordinatrice Léa Ntoumba, convaincue que la sensibilisation est le levier le plus rapide pour réduire la mortalité accidentelle.
Vers une pêche plus durable sur la côte congolaise
La nouvelle loi sur la pêche, validée l’an dernier, oblige désormais les pirogues motorisées à tenir un registre des prises et à déclarer tout spécimen de plus de 100 kg. Cette disposition ouvre la voie à une base de données nationale consultable par les chercheurs.
Un projet pilote, financé par l’Agence française de développement, teste également des balises GPS peu coûteuses. Elles permettent de vérifier le respect des couloirs de migration identifiés par les biologistes et d’alerter dès qu’une pirogue entre dans une zone de reproduction.
Enfin, plusieurs maîtres-fumeuses de Songolo expérimentent des fours améliorés alimentés par des résidus de sciage. L’initiative réduit la demande en bois et valorise les prises de petite taille, offrant une alternative économique pour diminuer la capture d’espèces patrimoniales comme la raie losange.
