Brazzaville mise sur le fleuve Congo
Au bord du majestueux fleuve Congo, le port fluvial Yoro s’apprête à entamer sa plus vaste métamorphose depuis sa création en 1944.
Le 9 septembre 2025, la coordination du Projet régional d’amélioration des corridors de transport routier et fluvial en Afrique centrale, plus connu sous l’acronyme PRACAC, a ouvert la procédure de réhabilitation en réunissant administration, bailleur Banque mondiale et entreprises intéressées à Brazzaville.
Un chantier logistique et climatique stratégique
Le port Yoro manutentionne chaque année près de 85 % du bois de chauffe et du manioc consommés à Brazzaville, tout en servant de pont pour les échanges avec la République démocratique du Congo et le marché d’Afrique centrale.
L’extension prévue intégrera deux quais supplémentaires, des hangars modernes et un terminal numérique de suivi des cargaisons, doublant la capacité de stockage et réduisant le temps d’attente des pirogues, barges et camions qui encombrent souvent les berges.
Cap sur la performance environnementale
La fiche environnementale présentée par le PRACAC prévoit des systèmes de drainage pour limiter les ruissellements polluants, un éclairage LED alimenté par des mini-centrales solaires et un dispositif de collecte des déchets flottants afin de préserver la qualité de l’eau du fleuve.
Selon le directeur de cabinet du ministère de l’Économie fluviale, Dr Evariste Miakakarila, ces choix techniques traduisent « la volonté d’aligner l’infrastructure sur les engagements climatiques nationaux tout en tenant compte des réalités financières ».
Mémoire d’un site historique
Le port tient son nom de Yoro Thiam, pêcheur sénégalais installé dans les années 1940 qui introduisit la pêche à grande échelle sur ces rives et contribua à l’alimentation de la capitale naissante.
Au fil des décennies, Yoro est devenu un poumon économique, accueillant successivement le commerce du café, du coton puis des matériaux de construction; cette transition illustre l’évolution des besoins urbains et la plasticité des communautés fluviales de Brazzaville.
Retombées locales et emplois verts
En phase chantier, le programme devrait mobiliser près de 600 ouvriers, dont 40 % issus des quartiers riverains de Makélékélé et Bacongo, avec des formations en sécurité fluviale, maintenance solaire et gestion des huiles usées, financées par le fonds social du projet.
À terme, la modernisation pourrait générer 1 000 postes durables pour les manutentionnaires, logisticiens, développeurs informatiques et opérateurs de contrôle qualité, tout en sécurisant l’approvisionnement en aliments de base de plus de deux millions d’habitants.
Transparence et gouvernance renforcées
L’appel d’offres international, publié simultanément à Brazzaville et à Washington, comprend un mécanisme de plainte citoyenne hébergé par l’Autorité de régulation des marchés publics pour garantir la « transparence et l’équité » réaffirmées par Dr Miakakarila.
Benoît Ngayou, coordonnateur du PRACAC, insiste sur la collecte de données en temps réel : « Chaque cargaison sera géolocalisée depuis l’embarquement jusqu’au stockage; ces informations seront publiques et consultables sur une plateforme mobile multilingue ».
Calendrier et prochaines étapes
Les études techniques détaillées seront finalisées d’ici mars 2026, avant la mobilisation des premiers engins au second semestre, ont précisé les ingénieurs du consortium ACEB-Hydro consult.
La durée du chantier est évaluée à trente-six mois, avec une mise en service progressive des quais pour éviter toute rupture d’approvisionnement; la Banque mondiale libérera les décaissements par tranches, après audits environnementaux semestriels.
Le coût global est estimé à 220 millions de dollars, dont 70 % en prêts concessionnels et 30 % en contrepartie nationale; un comité inter-ministériel assure le suivi budgétaire mensuel pour maintenir la trajectoire financière sans alourdir la dette publique.
Le regard des riverains et des experts
À Makélékélé, la commerçante Micheline Ngali espère des retombées rapides : « Les retards actuels font grimper le prix du sac de manioc; si le port devient plus fluide, nous pourrons vendre moins cher au marché Total ».
L’hydrologue Jean-Marc Kodia rappelle toutefois l’importance d’un dragage raisonné : « Le fleuve est un écosystème fragile; retirer trop de sédiments peut modifier les frayères. Les études d’impact doivent rester un outil vivant, pas un simple document ».
Du côté de l’Université Marien-Ngouabi, un groupe d’étudiants en génie civil monte déjà une maquette 3D du futur terminal pour sensibiliser sur les effets cumulés des infrastructures et du changement climatique dans la plaine inondable.
Technologies connectées
Le futur centre de données prévu sur le quai sud hébergera des capteurs IoT mesurant le niveau du fleuve, la salinité et la concentration en déchets organiques; ces informations nourriront la plateforme ouverte Congo Data Hub soutenue par l’Agence nationale de la météorologie.
Pour les jeunes développeurs, cette brique numérique ouvre des perspectives de services innovants, comme l’alerte crue par SMS ou la cartographie en temps réel des stocks de manioc, renforçant la résilience alimentaire de la capitale et la compétitivité de la chaîne logistique.
Un maillon pour l’intégration régionale
Le corridor PRACAC relie Pointe-Noire, Brazzaville, Kinshasa et Bangui; en modernisant Yoro, la République du Congo se place au centre d’une logistique fluviale capable de réduire de 30 % les émissions liées au transport routier, selon les projections du projet.
Ce choix stratégique s’inscrit dans la vision gouvernementale de faire du fleuve un vecteur de croissance inclusive, tout en renforçant la coopération Sud-Sud et la résilience climatique des États riverains.
									 
					