Un corridor stratégique de 500 km
Depuis Loudima, au cœur de la Bouenza, le ministre de l’Énergie et de l’Hydraulique, Émile Ouosso, a donné le coup d’envoi de la réhabilitation de la ligne haute tension reliant Pointe-Noire à Brazzaville.
Longue de 500 kilomètres, cette dorsale de 220 kilovolts assure déjà la moitié des échanges électriques nationaux, mais son vieillissement provoquait pannes récurrentes et pertes atteignant parfois 20 % du courant transporté.
Le chantier, confié à Eni Congo, vise à remplacer conducteurs, isolateurs et pylônes critiques, tout en dotant neuf postes de manœuvre d’équipements numériques capables de surveiller la tension en temps réel, dotant aussi les postes d’une fibre optique dédiée.
Selon le ministère, l’opération s’inscrit dans le Plan national de développement 2022-2026, qui fait de la sécurité énergétique un levier de diversification économique et de cohésion sociale, conformément aux orientations du chef de l’État.
Objectifs : fiabilité et compétitivité
L’amélioration de la fiabilité doit d’abord profiter aux ménages urbains, encore exposés aux délestages, mais aussi aux petites et moyennes entreprises, dont 60 % déclarent que le coût du diesel freine l’expansion de leurs activités.
À terme, la modernisation permettra également d’alimenter de nouveaux pôles industriels, notamment dans l’agro-transformation et la métallurgie, créateurs d’emplois locaux et d’exportations diversifiées hors pétrole, ainsi que dans l’économie numérique émergente.
Les compensateurs statiques prévus à Loudima et Mindouli stabiliseront la fréquence et réduiront les fluctuations de tension, condition indispensable pour attirer des investisseurs dans le numérique et la production pharmaceutique émergente.
« Une énergie prévisible abaisse le risque opérationnel et donc le coût du capital », souligne Isidore Nkayi, économiste à l’Université Marien-Ngouabi, rappelant que chaque point de fiabilité gagné correspond à 0,3 % de croissance supplémentaire.
Partenariat public-privé à l’œuvre
Eni Congo détient déjà 20 % de la Centrale Électrique du Congo, qui fournit plus de 70 % de la production nationale grâce à trois turbines à gaz opérant avec un taux de disponibilité supérieur à 98 %.
Le montage financier du nouveau chantier, dont le coût n’a pas été rendu public, combine emprunt commercial, avance de trésorerie d’Eni et ressources budgétaires nationales, ce qui limite l’impact sur l’endettement souverain.
Pour le directeur général d’Eni Congo, Andrea Barberi, cet accord « illustre la confiance mutuelle bâtie au fil de vingt-cinq ans de coopération énergétique », un propos salué par des applaudissements au pied du pylône inauguré.
Côté État, le ministère de l’Énergie insiste sur la gouvernance : un comité de suivi mixte publiera trimestriellement les avancements, un outil jugé essentiel pour maintenir la transparence réclamée par les partenaires internationaux.
Impacts socio-économiques et climatiques
En remplaçant les groupes électrogènes fonctionnant au fioul, la stabilité du réseau pourrait éviter jusqu’à 180 000 tonnes d’émissions de CO2 par an, selon une étude interne de l’Agence congolaise de l’Environnement.
Cette réduction offrirait au pays des crédits carbone monétisables sur les marchés volontaires, créant une source supplémentaire de devises et renforçant la diplomatie climatique de Brazzaville.
Les experts ajoutent que des services publics mieux alimentés, en particulier les hôpitaux et les établissements scolaires, pourront sécuriser la conservation des vaccins ou l’apprentissage numérique, deux axes prioritaires du programme national de développement humain.
Dans les zones rurales voisines de la ligne, la réfection des postes permettra des extensions de basse tension favorisant l’électrification de villages, étape cruciale pour réduire l’exode vers les capitales et stimuler l’agriculture vivrière.
Les défis techniques du terrain équatorial
La grande plaine côtière et les forêts du Mayombe imposent un climat hyper-humide, corrosif pour l’acier galvanisé ; chaque tronçon devra donc recevoir une protection anticorrosion de nouvelle génération.
Les équipes logistiques prévoient d’acheminer plus de 12 000 tonnes de matériel par rail et par route, en profitant des réhabilitations parallèles du corridor Congo-Océan, raccourcissant considérablement les délais d’approvisionnement en pièces lourdes.
Sur le plan humain, le projet mobilise déjà 600 techniciens congolais et 150 experts étrangers ; un centre de formation temporaire installé à Dolisie délivre des certificats en maintenance haute tension.
« Nous voulons capitaliser ces compétences pour la suite du programme Énergie 2035 », précise André Nkeye, directeur général de l’Énergie, évoquant l’ambition de porter le taux d’électrification national à 80 % avant quinze ans.
Vers une intégration sous-régionale
Au-delà des frontières, la ligne Pointe-Noire–Brazzaville constitue un maillon envisagé du futur réseau interconnecté d’Afrique centrale, soutenu par la Communauté économique des États d’Afrique centrale, en plein essor.
La capacité accrue à 400 mégawatts permettra, à moyen terme, des échanges bilatéraux avec la République démocratique du Congo, le Cameroun ou le Gabon, renforçant la résilience régionale face aux aléas climatiques.
Pour le chercheur Jean-Baptiste Massamba, membre du think-tank CERAPE, « l’interconnexion est le meilleur filet de sécurité contre la variabilité hydrologique qui affecte déjà les barrages d’Inga et de Song-Loulou ».
Une étude de la Banque africaine de développement estime que l’achèvement des maillons manquants pourrait réduire de 30 % le coût moyen du kilowattheure dans la sous-région d’ici 2030, stimulant l’industrialisation verte.