La petite saison des pluies bouscule les villes
D’octobre à décembre, la moitié sud du Congo enregistre jusqu’à 260 millimètres de pluie mensuelle. Brazzaville, Pointe-Noire, Dolisie et N’Kayi se retrouvent régulièrement sous les eaux, malgré la qualification de « petite » saison humide. Les habitants redoutent surtout les épisodes de novembre, statistiquement les plus arrosés.
Les averses saturent caniveaux et collecteurs. Sans évacuation rapide, la chaussée se dégrade en quelques heures : nids-de-poule, crevasses et glissements de terrain apparaissent. « Une heure de pluie transforme mon avenue en rivière », soupire Clarisse, commerçante du marché Total, tournée vers un étal bâché.
Témoignages des avenues inondées
À Makélékélé, Jonas, chauffeur de taxi, raconte une journée type : « Je double le temps de trajet, et parfois je passe la nuit à remorquer le véhicule enlisé ». Les élèves, sacs au-dessus de la tête, pataugent dans cinquante centimètres d’eau avant d’atteindre l’école 31 Décembre.
Même les conducteurs de 4×4 hésitent. Les mécaniciens confirment une hausse de 30 % des réparations de trains roulants en saison pluvieuse. Dans la périphérie de Pointe-Noire, plusieurs camions de ravitaillement se couchent chaque semaine sur une voie transformée en bourbier, pénalisant l’approvisionnement des marchés.
Retombées économiques inattendues
Le coût logistique grimpe à chaque retard. Un exploitant de manioc de Madingou évalue à 18 % la perte de revenus liée aux tubercules endommagés dans le transport vers Dolisie. L’Union des opérateurs routiers parle de 500 millions de francs CFA de surcoûts saisonniers.
Cette pression s’ajoute aux défis budgétaires publics. L’État fait déjà face à des tensions de trésorerie pour payer salaires et services essentiels. Dans ce contexte, l’entretien régulier des voiries exige une approche plus créative que le seul déblocage de fonds courants.
Des gestes simples pour des routes vivantes
Les ingénieurs du Laboratoire national des travaux publics estiment que 60 % des dégradations pourraient être évitées par un curage semestriel des caniveaux. Des comités de quartier, comme celui de Mfilou, organisent désormais des journées de « fosse propre » en partenariat avec la mairie d’arrondissement.
Chaque séance mobilise une cinquantaine de volontaires, deux camions-bennes municipaux et des entreprises locales de recyclage de gravats. Le résultat immédiat se voit dès l’averse suivante : stagnations réduites et circulation plus fluide, selon le rapport d’observation citoyenne publié en août.
Innovation financière et partenariats
Le ministère en charge de l’entretien routier étudie un fonds dédié alimenté par une fraction de la taxe sur les produits pétroliers. Objectif : assurer les petites interventions avant que les dommages ne nécessitent de lourds travaux. Des banques locales, attirées par la notation ESG, regardent d’un œil favorable ce mécanisme.
La société Albayrak, autrefois impliquée dans la collecte des ordures, pourrait être réorientée vers des prestations ciblées de balayage hydraulique. Le nouveau montage prévoirait des paiements indexés sur la performance, afin d’éviter les arriérés qui avaient fragilisé le précédent contrat, confie une source proche du dossier.
Gestion des eaux, un réflexe urbain durable
Les urbanistes prônent la création de poches d’infiltration végétalisées. À Bacongo, un test mené sur 300 mètres de trottoir montre une réduction de 40 % du ruissellement grâce aux noues plantées de vétiver, une graminée adaptée aux fortes pluies.
Les jeunes firmes congolaises de cartographie par drone cartographient désormais les points noirs. Le partage gratuit des images permet aux mairies de hiérarchiser les urgences. « Nous voulons baser chaque chantier sur la donnée plutôt que sur la plainte isolée », souligne Francine Bemba, ingénieure géomaticienne.
Jeunesse et chercheurs mobilisés
À l’Université Marien Ngouabi, un programme de recherche finance des thèses sur les enrobés drainants fabriqués à partir de plastique recyclé. Les premiers échantillons affichent une durée de vie doublée face aux cycles d’humidité, selon le professeur Ngoyi.
Les scouts, associations confessionnelles et plateformes numériques de volontariat relaient les alertes pluviométriques en temps réel. Cet écosystème citoyen favorise l’anticipation : automobilistes et piétons adaptent leur trajet, réduisant le risque d’accident et la casse des véhicules.
Perspectives communes
Brazzaville accueillera en mars un atelier régional sur la gestion intégrée des eaux pluviales. Des municipalités voisines d’Afrique centrale partageront leurs expériences. L’Agence française de développement et la Banque africaine de développement y présenteront des instruments de garantie adaptés aux collectivités.
En attendant, la saison bat son plein. Sous les nuages lourds, la solidarité locale montre déjà son efficacité. Si curage régulier, financement stable et technologies simples convergent, les pluies redeviendront un atout agricole plutôt qu’un casse-tête routier, concluent nos interlocuteurs, sourire prudent aux lèvres.
