Richesse de Conkouati-Douli face à l’exploration pétrolière
Au sud-ouest du Congo-Brazzaville, à la lisière du Gabon, le parc national de Conkouati-Douli déploie 8 000 km² de forêts, zones humides et estuaires. Classé en 1999 par décret présidentiel, il constitue l’un des derniers massifs côtiers encore intacts d’Afrique centrale.
Deux permis hydrocarbures, baptisés « Conkouati » et « Niambi », ont été attribués respectivement en février 2024 à Overseas United Limited et en avril 2025 à Oriental Energy. Leurs blocs recouvrent plus de la moitié des terres protégées et frôlent 90 % des zones humides du parc.
Dans ces écosystèmes côtiers coexistent éléphants de forêt, gorilles occidentaux, lamantins, et populations de tortues luth venant nicher sur les plages. Les scientifiques recensent plus de 120 espèces de mammifères et 400 d’oiseaux, faisant de Conkouati-Douli une mosaïque biologique d’intérêt mondial.
Le ministère congolais des Hydrocarbures souligne toutefois que la valorisation du sous-sol demeure un pilier de la stratégie de diversification économique. Pour Brazzaville, il s’agit d’attirer des investissements tout en maintenant un niveau d’intégrité écologique compatible avec les objectifs climatiques nationaux.
Cadre légal et engagements internationaux
Le décret fondateur interdit explicitement toute activité minière, industrielle ou forestière à l’intérieur de la zone intégrale. Cette disposition s’appuie sur la loi de 2008 relative aux aires protégées, qui classe Conkouati-Douli parmi les territoires bénéficiant du plus haut statut de protection.
La République du Congo a par ailleurs ratifié la Convention sur la diversité biologique, le Protocole de Nagoya et l’Accord de Paris. Ces textes engagent l’État à préserver les services écosystémiques, mais n’excluent pas, sous condition d’études d’impact rigoureuses, des projets économiques dans certaines parties tampon.
Selon Didier Mavoungou, enseignant en droit de l’environnement à l’Université Marien Ngouabi, « le débat se joue donc dans la capacité de l’opérateur à démontrer l’absence d’alternative et à compenser strictement les dommages ». Il insiste sur la jurisprudence régionale qui renforce le contrôle judiciaire.
Interrogée, la direction générale de l’Environnement rappelle que chaque permis reste soumis à l’évaluation environnementale stratégique et aux audiences publiques prévues par la réglementation. Elle affirme poursuivre un équilibre entre impératifs de croissance et engagements climatiques devant les partenaires internationaux.
Mobilisation de la société civile et des riverains
Le Centre d’action pour le développement, en partenariat avec Earth Insight, a publié un rapport signalant « des menaces croissantes » sur la biodiversité et les communautés locales. Devant la presse, le 4 septembre à Brazzaville, son directeur exécutif Trésor Nzila a qualifié la situation de « grave ».
Treize organisations congolaises et internationales ont également signé une déclaration réclamant la révocation immédiate des permis. Elles invoquent le risque d’atteinte aux obligations climatiques du pays, mais aussi la possible perte de revenus futurs tirés de l’écotourisme, secteur jugé porteur dans la région.
Dans les villages de Moussoukou, Nyanga et Cotovindou, environ 7 000 habitants dépendent de la pêche artisanale et de la collecte de produits forestiers non ligneux. Beaucoup redoutent une pollution des estuaires, mais d’autres voient dans l’arrivée d’entreprises un espoir de routes et de centres de santé.
À la tribune de la conférence, Trésor Nzila a rappelé que « nous ne sommes pas contre le développement, mais nous voulons que la richesse soit créée autrement ». Son organisation plaide pour des investissements dans l’agroforesterie, la valorisation du carbone et la pêche durable à forte valeur ajoutée.
Concilier croissance et conservation
Depuis plusieurs années, Brazzaville explore les outils de planification spatiale intégrée. L’approche, soutenue par l’Agence française de développement et la Banque mondiale, introduit des zonages permettant de concilier usages extractifs limités et maintien des couloirs écologiques indispensables aux grands mammifères.
D’un point de vue économique, le gouvernement mise aussi sur l’hydrogène vert, la filière bois certifiée et l’énergie solaire, afin de réduire l’empreinte carbone tout en diversifiant les exportations. Ces orientations seront au cœur des discussions lors du sommet africain sur le climat prévu en septembre 2025.
Pour les bailleurs de fonds, des mécanismes de paiement pour services écosystémiques pourraient compenser la renonciation à certains gisements. Le Congo a déjà inscrit 18 millions d’hectares à l’initiative Africa’s Great Green Wall, positionnant le pays sur les marchés volontaires du carbone.
Entre impératifs sociaux, ambitions énergétiques et sauvegarde d’un patrimoine unique, la balance reste délicate. Le dialogue multipartite amorcé autour de Conkouati-Douli illustre la recherche d’un modèle où la croissance n’implique pas la disparition des forêts, mais leur intégration dans une stratégie de résilience collective.
Overseas United Limited assure de son côté vouloir appliquer les normes de performance de la Société financière internationale. L’entreprise évoque des techniques de forage directionnel et un plan de remise en état progressive des sites, sous contrôle d’un comité scientifique indépendant réunissant chercheurs congolais et gabonais.
Reste à transformer ces engagements en actions mesurables. Le calendrier d’exploration prévoit des études sismiques dès 2026 ; la période constitue une fenêtre pour renforcer la transparence, publier les analyses d’impact et instaurer des mécanismes de suivi participatif capables de restaurer la confiance entre tous les acteurs.