Chaînes d’approvisionnement antipaludiques en Afrique
Lusaka a accueilli du 25 au 27 août la 75e session du Comité régional de l’OMS-Afrique. Les ministres de la Santé, alarmés par la résilience du paludisme, ont réclamé des chaînes d’approvisionnement plus solides pour faire parvenir moustiquaires, traitements et vaccins jusqu’aux villages les plus isolés.
Cette exigence logistique paraît technique, elle est pourtant politique : l’accès ininterrompu aux intrants sanitaires conditionne la crédibilité des plans nationaux de lutte, y compris celui du Congo-Brazzaville, qui ambitionne une réduction de 90 % des cas à l’horizon 2030, conformément à la cible continentale.
Les travaux ont également souligné que les effets du changement climatique, en modifiant les régimes pluviométriques et les zones de reproduction des anophèles, complexifient la prévision des flambées. La prévention dépend dès lors d’une logistique capable d’anticiper des poussées épidémiques plus erratiques et plus étendues.
Big data et climat au service de la santé
Pour rationaliser la distribution, les ministres misent sur une meilleure exploitation des données de surveillance. L’idée est d’interconnecter registres cliniques, stocks pharmaceutiques et informations météorologiques afin de diriger, en temps quasi réel, moustiquaires durables et ACT vers les districts présentant l’indice entomologique le plus élevé.
Des sociétés congolaises de télécommunications étudient déjà une plateforme partagée qui croiserait couvertures réseau, densité de pluies et ruptures de stocks. « Nous voulons que le climat devienne un indicateur aussi opérationnel que le carnet vaccinal », confie le Dr Juste Mbemba, coordinateur du Programme national de lutte.
Brazzaville teste parallèlement des drones hybrides capables de franchir marigots et forêts inondées, là où les camions restent immobilisés. Le ministère de la Santé voit dans cette technologie propre un vecteur d’équité sanitaire et un exemple des solutions sobres en carbone portées par la diplomatie congolaise.
Financement vert pour la lutte antipaludique
Sur le volet financier, le rapport adopté à Lusaka insiste : la contraction récente de certaines enveloppes internationales ne doit pas se traduire par un recul des services essentiels, mais par une diversification des ressources, notamment via la mobilisation du secteur privé et l’ancrage budgétaire domestique.
Le Congo-Brazzaville explore un fonds national paludisme, calqué sur le mécanisme déjà utilisé pour les infrastructures routières. Alimenté par une taxe symbolique sur les transactions extractives, il devrait sécuriser l’achat local de combinaisons insecticides et stimuler le tissu industriel en favorisant l’assemblage sur place des kits diagnostiques.
Plusieurs partenaires suggèrent d’adosser ce fonds à des obligations vertes régionales. Les performances environnementales, mesurées en tonnes de CO₂ évitées grâce aux moustiquaires à longue durée de vie, serviraient de critères d’éligibilité, illustrant la convergence entre finance climatique et santé publique que souhaite promouvoir la CEEAC.
Coopération régionale et initiative congolaise
Le renforcement des chaînes logistiques exige également une coopération transfrontalière. La nouvelle « route sanitaire fluviale » imaginée sur le fleuve Congo doit acheminer, sans formalités redondantes, toutes les commandes groupées à destination du Pool, de la Cuvette et des provinces voisines de la République démocratique du Congo.
Lors de la séance plénière, la délégation congolaise a rappelé l’engagement du président Denis Sassou Nguesso en faveur du concept One Health, qui associe vétérinaires, climatologues et urbanistes. Ce socle intersectoriel est considéré par l’OMS comme le meilleur garant de réponses agiles face aux maladies vectorielles émergentes.
Pour étayer cette approche, un centre régional de prospective épidémiologique doit voir le jour à Oyo, adossé à l’Université Denis-Sassou-Nguesso. Ses modélisations climato-sanitaires alimenteront le tableau de bord continental, évitant la dispersion actuelle des données et permettant à chaque pays d’optimiser ses commandes trimestrielles d’antipaludiques.
Interventions de terrain et résultats mesurables
Les résultats n’en demeurent pas moins tangibles. L’usage des moustiquaires imprégnées est passé de 46 % en 2021 à 59 % en 2023 sur le continent, selon l’OMS, avec des campagnes communautaires soutenues par plus de 2000 bénévoles congolais dans les départements du Niari et de la Sangha.
La chimio-prévention saisonnière démontre une dynamique similaire. De 200 000 enfants protégés en 2012, l’initiative concerne aujourd’hui 53 millions d’écoliers dans 18 pays, dont 350 000 au Congo-Brazzaville. Les autorités sanitaires y voient la validation d’un modèle associant enseignement, agriculteurs locaux et radios communautaires.
Quant au nouveau vaccin RTS,S, six millions d’enfants l’ont déjà reçu dans 20 pays avant juillet 2025. Le Congo prépare son déploiement progressif, privilégiant d’abord les zones forestières où la densité vectorielle demeure élevée, afin de maximiser l’efficacité et d’alimenter un retour d’expérience régional.
Défis écologiques et perspectives d’adaptation
En intensifiant la logistique verte, en connectant bases de données et financements innovants, l’Afrique espère transformer la lutte antipaludique en vitrine d’intégration climatique. Les ministres réunis à Lusaka ont rappelé que chaque moustiquaire distribuée est aussi un outil d’adaptation, central pour la résilience sociétale du continent.
Les spécialistes préviennent toutefois que le succès dépendra aussi de la lutte contre la déforestation, laquelle favorise des mares temporaires propices aux larves. Harmoniser politiques forestières et santé constitue donc la prochaine frontière discutée pour la conférence climat de Baku.