La technologie au service des parcs congolais
Dans la dense canopée d’Odzala-Kokoua, le fracas discret des claviers et des onduleurs résonne autant que les cris de singes. Depuis quelques années, la conservation s’appuie sur réseaux, satellites et algorithmes pour protéger un territoire plus vaste que la Corse.
Cette bascule numérique n’est pas un luxe, mais une réponse à l’immensité des défis : braconnage mobile, changements climatiques, attentes des communautés. Un drone repère un feu, un capteur suit un éléphant, un panneau solaire maintient la connexion entre bases isolées.
African Parks, partenaire de l’État congolais, a placé ces outils au cœur de sa stratégie : efficacité opérationnelle, transparence financière, retombées locales. Depuis 2017, la Fondation Odzala-Kokoua-Lossi, fruit d’un partenariat public-privé, déploie cette approche sur le Parc national et le Sanctuaire de Lossi.
Une équipe IT réduite mais stratégique
Sur les 330 salariés de la Fondation, à peine trois portent la casquette IT. Pourtant, leurs claviers irriguent quotidiennement plus de 300 collègues répartis sur trois bases principales, deux bureaux urbains et des dizaines de postes avancés au milieu des marécages.
Ils gèrent sans relâche serveurs, radios VHF, bornes VSAT et micro-centrales solaires. Leur priorité absolue : garantir que chaque patrouille puisse signaler en temps réel un piège, que chaque chercheur télécharge ses données, que chaque agent financier suive les dépenses.
Michel Diakaba impulse la révolution digitale
En 2021, l’arrivée de Michel Diakaba a changé d’échelle le bureau technique. Formé à Brazzaville, rodé aux réseaux d’entreprise, il découvre des tourbières où la fibre cède la place aux faisceaux hertziens. « Ici, chaque mégabit sauvé compte autant qu’une cartouche saisie », sourit-il.
Sa feuille de route mêle câbles et pédagogie. Il conçoit un réseau maillé reliant Mbomo, Ngaga et Makoua, installe des serveurs redondants, puis forme éco-garde et réceptionniste au même logiciel de cartographie. Résultat : moins de coupures, plus d’autonomie et un moral renforcé.
Avec un assistant recruté en 2024, Michel planifie désormais des interventions préventives. Chaque panneau photovoltaïque est télésurveillé, chaque radio reçoit une mise à jour nocturne, chaque mot de passe est renouvelé avant la saison des pluies. Les urgences cèdent peu à peu à la méthode.
Des données au cœur des décisions opérationnelles
Dans la salle de contrôle, trois écrans agrègent en temps réel positions de gorilles, mouvements de patrouilles et alertes incendie. EarthRanger, déployé par l’équipe IT, fusionne GPS, rapports radio et images satellite pour offrir aux gestionnaires une vue à 360 degrés.
Quand un braconnier franchit une rivière, la patrouille la plus proche reçoit un SMS satellite au lieu d’opérer à l’aveugle. Les coûts de carburant chutent de 20 %, la réactivité grimpe et les risques humains diminuent sensiblement, selon les rapports internes de 2023.
Les biologistes gagnent aussi en précision. Les relevés d’ADN environnemental, les clichés d’appareils-pièges et les observations villageoises convergent dans la même base. Une routine automatisée calcule tendances, corrige biais et génère une carte de chaleur accessible même hors connexion, atout majeur durant les longues missions.
Un impact concret pour les communautés riveraines
L’utilité dépasse la seule faune. Les données de réseau servent à programmer des cliniques mobiles, répartir des semences ou annoncer un atelier à Mbomo. « Quand l’antenne fonctionne, nous recevons les invitations à temps », témoigne Thérèse, présidente d’un groupement féminin de récolte de miel.
La fondation mise sur cette confiance pour renforcer la co-gestion des ressources. Chaque trimestre, des cartes imprimées issues d’EarthRanger sont partagées lors des réunions villageoises. Elles montrent routes fermées, zones d’observation et limites agricoles, réduisant incompréhensions et conflits d’usage.
Défis, financements et perspectives d’avenir
La saison des pluies reste l’ennemi redouté : batteries noyées, antennes foudroyées, pistes impraticables. Pour y faire face, l’équipe teste des boîtiers étanches imprimés en 3D à Brazzaville et des algorithmes capables de compenser une coupure réseau en stockant localement les mises à jour.
Autre horizon : étendre la formation. Un module d’initiation au codage est proposé aux écoles primaires voisines. L’objectif est double : inspirer de futures vocations et garantir que le savoir reste dans les territoires, réduisant la dépendance à des techniciens distants ou expatriés.
Le financement de ces innovations demeure toutefois un challenge. Les licences logicielles, les batteries au lithium et le haut débit satellite représentent plus de 12 % du budget annuel du parc. La fondation négocie donc avec des entreprises locales pour mutualiser des connexions et créer des économies d’échelle.
Enfin, la fondation explore l’ouverture de données anonymisées aux chercheurs partenaires et aux investisseurs carbone. Une telle transparence pourrait accélérer la certification REDD+ et mobiliser de nouveaux financements pour l’État, tout en récompensant les communautés protectrices.
Sous la pluie ou sous antenne, l’informatique à Odzala-Kokoua restera ce géant silencieux dont dépend la sauvegarde des gorilles, la sécurité des rangers et le développement local. En soutenant les écrans, la République du Congo soutient aussi ses forêts, ses villages et son futur.
									 
					