Moscou célèbre un champion africain de l’énergie
Moscou vient d’accorder un titre de professeur honoris causa à l’avocat et entrepreneur camerounais NJ Ayuk, président exécutif de l’African Energy Chamber. La distinction, remise par l’Institut national de recherche en ingénierie énergétique, récompense son plaidoyer pour une transition inclusive et industrialisante sur tout le continent.
L’événement s’est déroulé en marge de la Russian Energy Week 2025. Devant un auditoire d’experts, Ayuk a rappelé que l’Afrique ne souhaite plus exporter seulement des barils, mais transformer localement son gaz en engrais, électricité et matériaux qui nourriront ses usines et ses villes.
Moscou a salué cette vision « pragmatique », soulignant les parallèles avec la stratégie russe post-années 2000. « Le transfert de technologie doit aller de pair avec la souveraineté énergétique », a renchéri Ayuk, estimant que chaque million de mètres cubes transformés sur place crée cinq fois plus d’emplois qu’une exportation brute.
Un doctorat honoris causa aux accents panafricains
En recevant son diplôme, l’avocat a dédié la distinction « aux ingénieurs, décideurs et entrepreneurs qui bricolent chaque jour des solutions sur le terrain ». Son message résonne particulièrement auprès des jeunes Africains formés dans les écoles polytechniques de Brazzaville, Pointe-Noire ou Yaoundé, en quête d’opportunités industrielles.
Selon l’université hôte, c’est la première fois qu’un juriste africain reçoit un tel honneur dans l’établissement. Les recteurs soulignent « l’approche équilibrée » d’Ayuk, capable d’articuler souveraineté énergétique, besoins sociaux et impératifs climatiques sans opposer croissance et neutralité carbone.
Le gaz, tremplin pour l’industrialisation africaine
Pour l’African Energy Chamber, la monétisation du gaz reste la colonne vertébrale d’une transition juste. Les études internes estiment que convertir 10 % des réserves prouvées africaines en électricité réduirait d’un tiers le déficit énergétique continental et soutiendrait la fabrication de 30 millions de tonnes d’engrais annuels.
À Moscou, Ayuk a cité la République du Congo comme exemple de pays alignant production gazière et ambition industrielle. La centrale à gaz de Pointe-Noire, entrée en service l’an passé, alimente désormais 170 000 foyers tout en fournissant de la vapeur aux usines de clinker voisines.
Quel impact pour le bassin du Congo ?
Dans le bassin du Congo, la question énergétique est indissociable de la préservation forestière. Les communautés riveraines rappellent que l’accès à une électricité fiable réduit la dépendance au charbon de bois, principale cause de défrichement autour de Brazzaville et Ouesso, selon l’Observatoire congolais du climat.
Henri Mbemba, jeune agronome de la Sangha, constate une amélioration : « Depuis l’arrivée du mini-réseau solaire-gaz financé par l’État et ses partenaires, la pression sur les galeries forestières a baissé. Nous devons maintenant développer des emplois locaux pour que les familles voient un revenu dans la filière énergie ».
Pour consolider ces avancées, le ministère congolais des Hydrocarbures mise sur des partenariats sud-sud. Le protocole d’accord signé l’an dernier avec Gazprombank inclut des bourses d’ingénierie et la co-construction d’un centre de maintenance à Oyo, destiné aux turbines à cycle combiné.
Des partenariats tournés vers la technologie
L’African Energy Chamber insiste toutefois sur la nécessité de clauses locales fortes. « Les investisseurs ne s’opposent pas au contenu local, ils demandent simplement un cadre stable », analyse Arlette Sossa, économiste togolaise basée à Paris. Selon elle, la transparence contractuelle attire des capitaux moins volatils.
Le modèle russe de zones économiques spéciales inspire plusieurs capitales africaines. À Pointe-Noire, une zone franche énergétique est à l’étude : exonérations fiscales ciblées, guichet unique douanier, obligations de formation des techniciens locaux et exigences strictes en matière de réhabilitation des sites d’extraction.
Responsabilité sociale et communautés locales
Les organisations de la société civile appellent néanmoins à surveiller les retombées sociales. À Madingou, les collectifs féminins réclament au moins 30 % des emplois non spécialisés sur les chantiers gaziers, ainsi que des microcrédits dédiés à la transformation des produits agricoles.
Interrogé sur ces attentes, Ayuk répond que « la justice énergétique n’est pas un slogan, c’est un contrat ». Il plaide pour des fonds de développement communautaire, alimentés par un petit pourcentage des revenus d’exploitation, afin de financer écoles, dispensaires et incubateurs locaux.
Feuille de route pour des investissements durables
À court terme, l’African Energy Chamber souhaite voir ratifier plusieurs projets de captage du méthane torché, technologie déjà testée au Kazakhstan. Le Congo y gagnerait 400 000 tonnes de crédits carbone par an, commercialisables sur les places de Londres ou de Singapour.
En attendant, le titre décerné à Moscou confère une visibilité accrue au plaidoyer d’Ayuk. Reste pour les États africains à transformer cette reconnaissance symbolique en pipelines, usines et emplois. À entendre les communautés du bassin du Congo, le compte à rebours est déjà enclenché.
La prochaine étape sera la COP30, où l’African Energy Chamber présentera un tableau de bord détaillant les cibles d’industrialisation bas carbone d’ici 2030. Les délégations d’Afrique centrale, dont celle du Congo-Brazzaville, y défendront des scénarios hybrides combinant gaz, hydroélectricité et solaire en rive droite du fleuve.
Ce positionnement pourrait attirer des investisseurs climat, tel l’African Development Bank qui envisage une enveloppe de 500 millions USD pour les infrastructures d’énergie propre dans la sous-région, sous réserve de garanties de gouvernance et d’une participation active des communautés locales.
									 
					