Brazzaville et Pointe-Noire face aux déchets
Un mois après la saison sèche, Brazzaville et Pointe-Noire croulent sous près de 1 200 tonnes de déchets quotidiens, selon la mairie de Brazzaville. Le défi n’est plus seulement esthétique : il engage directement la santé publique et l’attractivité économique des deux capitales.
En avril 2025, le gouvernement a confié à la société turque Albayrak Waste Management un contrat de cinq ans incluant pré-collecte, transport et curage des caniveaux. L’objectif est clair : atteindre 90 % de collecte formelle et réduire de moitié les dépôts sauvages d’ici 2027.
Crise des déchets : état des lieux sanitaire
Les tas d’ordures bordant avenues et marchés deviennent des habitats pour mouches, rats et moustiques. Le laboratoire national de santé note une recrudescence de 18 % des cas de fièvre typhoïde depuis janvier, tandis que les centres de santé alertent sur une hausse simultanée du paludisme urbain.
Les caniveaux obstrués limitent l’écoulement des pluies, provoquant inondations éclaires qui détériorent la voirie. Chaque épisode pluvieux libère dans l’air des odeurs nauséabondes et des gaz issus de la fermentation, aggravant le risque d’infections respiratoires, selon l’Observatoire congolais de l’environnement urbain.
La stratégie Albayrak : défis et promesses
Albayrak a réceptionné 60 camions-bennes, 20 balayeuses mécaniques et ouvert deux centres de transfert temporaires dans les arrondissements de Makélékélé et Talangaï. Les premiers relevés GPS montrent une réduction de 35 % des points noirs dans ces zones pilotes, chiffre encore très en-deçà des attentes municipales.
Le directeur local, Mehmet Kara, assure que la flotte passera à 120 camions d’ici fin 2025 et que 800 emplois seront créés, priorité donnée aux jeunes des quartiers. « Nous devons apprendre la ville et former nos équipages », explique-t-il, rappelant l’importance d’un financement régulier du service.
Populations impliquées, comportements à changer
Le ministre de l’Assainissement urbain, Juste Désiré Mondelé, multiplie les tournées de sensibilisation et annonce la création d’une brigade d’hygiène citoyenne. Les contrevenants surpris à jeter leurs sacs seront conduits au commissariat pour recevoir une « leçon d’hygiène » suivie de travaux d’intérêt général, rappelle-t-il.
À Bacongo, la vendeuse Léa Ngampika reconnaît « avoir changé ses habitudes » depuis qu’un voisin a dû balayer la rue trois jours pour incivilité. Elle demande toutefois des bacs couverts supplémentaires afin d’éviter que les chiens divaguent et éparpillent les ordures avant le passage des camions.
Solutions locales et technologiques
Plusieurs start-ups congolaises proposent des applications mobiles indiquant l’emplacement des bennes disponibles et signalant un débordement par photo géolocalisée. L’application Mbotama Clean affirme déjà 9 000 utilisateurs actifs, principalement des étudiants, et partage ses données ouvertes avec Albayrak pour optimiser les itinéraires des camions.
Les coopératives féminines de Makoua recyclent le plastique souple en pavés, désormais posés devant certaines écoles. Le Centre d’études environnementales de l’université Marien-Ngouabi estime que chaque tonne ainsi transformée évite 1,6 t de CO₂ et réduit de 20 % la demande en granulats de carrière.
Financements verts et économie circulaire
Le Trésor congolais a mobilisé, via la Banque de développement des États d’Afrique centrale, une ligne de 15 milliards de francs CFA destinée à moderniser les décharges contrôlées. Une partie des fonds soutiendra l’installation de torchères pour capter le biogaz et générer de l’électricité communautaire.
Parallèlement, trois sociétés de micro-crédit testent une épargne verte : chaque kilo de PET apporté dans un point de collecte crédite le compte du déposant. Cette incitation financière séduit déjà 4 500 ménages qui espèrent financer scolarité ou petits équipements ménagers, tout en gardant leurs rues propres.
Vers des rues propres avant la saison des pluies
La prochaine grande étape est la mise en service, en janvier, d’une station de compostage pilote à Kintélé capable de traiter 200 tonnes de déchets organiques par jour, soit l’équivalent des marchés Total et Moungali réunis, réduisant la charge transportée jusqu’à la décharge finale.
Selon le comité de suivi multipartite, le calendrier est techniquement tenable si les pièces importées des ateliers turcs arrivent avant fin novembre. Le port de Pointe-Noire a, pour l’occasion, ouvert une voie prioritaire afin de limiter les retards douaniers et sécuriser l’acheminement des cuves inox.
Pour le sociologue Landry Oba, « la bataille de l’image est décisive ». Il estime que voir des rues propres incite les habitants à maintenir l’ordre tandis que l’inverse entretient la résignation. Il plaide donc pour des campagnes médiatiques positives mettant en avant les quartiers exemplaires.
Les autorités municipales tablent sur un taux de collecte de 75 % avant la grande saison des pluies de mars. Si cet objectif est atteint, les risques d’inondations et de maladies liés aux déchets devraient chuter d’un tiers, ouvrant la voie à d’autres projets d’aménagement urbain durable.
Albayrak et la mairie annoncent déjà un concours inter-arrondissements récompensant la rue la mieux entretenue. Doté de fournitures scolaires et de lampadaires solaires, ce prix entend transformer la gestion des ordures en moteur d’initiatives citoyennes et renforcer la cohésion autour d’une ville respirable.