Coopération maroco congolaise et environnement : racines d’une relation singulière
La célébration, le 30 juillet à Kintélé, du vingt-sixième anniversaire de l’accession de Sa Majesté Mohammed VI au Trône a offert une tribune singulière au chargé d’affaires du Royaume du Maroc à Brazzaville, Ahmed Agargi, pour rappeler la dimension stratégique de la coopération maroco-congolaise. Décrite comme « exceptionnelle et historique », cette relation s’appuie sur une amitié personnelle entre le souverain chérifien et le Président Denis Sassou Nguesso, amitié dont la traduction concrète dépasse aujourd’hui le champ strictement diplomatique pour embrasser les enjeux climatiques. Le contexte géopolitique africain, marqué par la montée des risques liés au réchauffement climatique, confère, en effet, à cette coopération bilatérale une pertinence renouvelée. La République du Congo, gardienne d’une part substantielle des forêts d’Afrique centrale, et le Maroc, pionnier continental de la transition énergétique, partagent un intérêt commun : faire de l’écologie un moteur de développement durable, condition d’une souveraineté économique assumée.
L’année 2023 aura été riche en signaux forts. La réunion préparatoire de la troisième session de la Grande Commission mixte, accueillie à Brazzaville au printemps, a réaffirmé cette volonté partagée de bâtir des programmes concrets, notamment dans les domaines de l’agriculture climato-intelligente, de la gestion durable des eaux et de la gouvernance forestière (Agence Congolaise d’Information, 1 août 2023). Alors que les mécanismes multilatéraux peinent à financer à la hauteur des ambitions africaines, l’axe Rabat-Brazzaville se présente comme un laboratoire sud-sud capable de mobiliser capitaux publics, expertise technique et savoir-faire diplomatique.
Transition énergétique : des convergences stratégiques à consolider
Le Maroc affiche depuis plus de quinze ans une trajectoire singulière en matière d’énergies renouvelables. Sous l’impulsion de Mohammed VI, le pays s’est donné pour objectif un mix électrique composé à 52 % de sources vertes à l’horizon 2030, appuyé par des fermes solaires et éoliennes de rang mondial. Cette expérience intéresse vivement Brazzaville, déterminée à diversifier un secteur énergétique longtemps dominé par les hydrocarbures du littoral atlantique. La signature, en 2022, d’un mémorandum portant sur le transfert d’expertise marocaine en matière de production solaire modulaire et de comptage intelligent constitue un premier jalon. Les autorités congolaises y voient un moyen d’accroître l’accès à l’électricité dans les zones rurales tout en réduisant l’empreinte carbone nationale, conformément aux engagements pris dans la Contribution déterminée au niveau national déposée à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques.
Au-delà de la production, les deux partenaires explorent des coopérations en matière de stockage et de flexibilité du réseau, question cruciale pour un pays comme le Congo dont la courbe de charge reste fortement tributaire de l’hydroélectricité du fleuve. Les centres de recherche de l’Université Marien-Ngouabi et de l’Institut de Recherche en Énergie Solaire et Énergies Nouvelles à Rabat planchent déjà sur des solutions hybrides liant batteries lithium et hydrogène vert. Selon le professeur Charles Nguimbi, responsable congolais du projet, « l’apport méthodologique marocain permet de gagner plusieurs années dans la phase de prototypage », accélérant l’émergence d’une filière locale créatrice d’emplois qualifiés.
La Commission Climat du Bassin du Congo : diplomatie verte et leadership partagé
Lancée en marge de la COP22 à Marrakech sous la présidence de Denis Sassou Nguesso, la Commission Climat du Bassin du Congo symbolise le rapprochement des deux capitales autour d’un agenda climatique d’envergure régionale. Sa mission : mobiliser des financements innovants afin de préserver le deuxième poumon forestier de la planète tout en promouvant un développement inclusif. Le Maroc, en tant que partenaire technique et financier, apporte une expertise reconnue en ingénierie de projets bancables, tandis que le Congo garantit la légitimité politique et l’ancrage local nécessaires à la mise en œuvre.
La récente création, à Oyo, du Fonds bleu pour le Bassin du Congo illustre cette synergie. Alimenté initialement à hauteur de 65 millions de dollars grâce à une contribution du Royaume et de la Banque africaine de développement, l’instrument vise à financer la restauration des tourbières, la surveillance satellitaire contre la déforestation et la valorisation économique des produits forestiers non ligneux. Le diplomate marocain Ahmed Agargi résume l’état d’esprit de cette initiative : « Nos deux pays veulent démontrer qu’il n’existe pas de fatalité entre croissance économique et préservation des forêts primaires ».
Le gazoduc Atlantique, colonne vertébrale d’une intégration bas-carbone
Projet stratégique porté par Mohammed VI et ses partenaires d’Afrique de l’Ouest, le gazoduc Atlantique Nigeria-Maroc ambitionne de relier, sur plus de 7 000 kilomètres, les gisements nigérians aux marchés européens. Brazzaville, qui a rejoint en 2021 le Comité de pilotage, y voit l’opportunité de monétiser son gaz associé tout en substituant progressivement le fuel lourd dans ses centrales thermiques. Les études d’impact environnemental en cours intègrent des critères stricts de réduction des fuites de méthane et de restauration des zones humides traversées, conformément aux standards de la Banque mondiale.
À terme, ce corridor gazier pourrait devenir la dorsale d’un marché régional de l’hydrogène vert, secteur où le Maroc occupe déjà une position de précurseur. La Société nationale des pétroles du Congo et l’Office national marocain des hydrocarbures et des mines négocient la création d’un centre commun de formation aux métiers de l’ingénierie gazière décarbonée. Selon les projections de l’Organisation des Producteurs de Pétrole Africains, l’exploitation optimisée de ces ressources pourrait réduire de 20 % les émissions cumulées de CO2 des pays partenaires d’ici 2040.
Pour un pacte sud-sud de développement durable partagé
En filigrane de ces initiatives, c’est toute une vision panafricaine qui se dessine : celle d’un continent capable de convertir l’urgence climatique en opportunités industrielles. Le Congo, fort de ses écosystèmes forestiers et de sa stabilité institutionnelle, et le Maroc, devenu plateforme africaine d’innovations vertes, cultivent un leadership complémentaire. La prochaine session de la Grande Commission mixte, annoncée pour 2024 à Rabat, devrait formaliser un plan d’action quinquennal. Au menu : mécanismes de tarification carbone, mutualisation des savoir-faire dans l’agro-écologie et diplomatie climatique conjointe lors des négociations onusiennes.
Observer attentivement cette montée en puissance sud-sud invite à dépasser la lecture traditionnelle de l’aide au développement. Le partenariat maroco-congolais, en inscrivant le changement climatique au cœur de sa matrice, participe à redéfinir les rapports de force internationaux, tout en rappelant que la défense d’intérêts nationaux peut rimer avec la promotion de biens publics mondiaux. En somme, une alliance verte en devenir, appelée à faire école sur le continent.