Une course sauvage unique
Dans l’aube vaporeuse du 11 octobre, cent-vingt coureurs ont pris le départ du marathon d’Odzala-Kokoua, foulant une piste sableuse qui serpente entre marécages, forêts claires et savanes. Le sifflet lancé, le parc national, l’un des plus anciens du Congo, s’est transformé en gigantesque stade vivant.
Trois distances rythmaient la fête sportive : dix, vingt-et-un et quarante-deux kilomètres, chacune espacée d’une heure afin de sécuriser le parcours et de laisser respirer la forêt. Les temps finaux, de 42’ à 4h06, confirment la dureté d’un terrain parfois boueux, parfois racineux.
Djibil Agnouka, ranger d’African Parks, a franchi la ligne en 3h49, ovationné par ses collègues qui patrouillent quotidiennement ces espaces. « Gagner ici, c’est protéger ma maison », confiait-il, son tee-shirt trempé. Derrière lui, les favoris de Mbomo, Arsène Zoloba et Guinel Ngouana, complétaient le podium.
Sur le semi-marathon, Fred Itadi coupait le ruban en 1h37, suivi d’Arnaud Mbongo et de Guillaume Vorburger. La course de dix kilomètres couronnait Joseph Obanga. Ces chronos, modestes sur le papier, sont salués par les coaches : l’humidité dépasse 80 % et chaque foulée coûte.
L’État soutient l’événement
Pour la première fois, la ministre de l’Industrie culturelle, touristique, artistique et des Loisirs, Lydie Pongault, lançait tous les départs. Après avoir remis médailles et rubans, elle expliquait vouloir faire du rendez-vous « un produit d’appel pour notre tourisme intérieur et international », confirmant son inscription annuelle.
Son soutien ouvre des perspectives logistiques décisives : renforcement de la signalisation, stations d’hydratation alimentées par des panneaux solaires et attribution d’un petit fonds au comité local. Les responsables du parc se disent prêts à travailler avec les collectivités pour harmoniser sécurité sportive et sérénité de la faune.
Tourisme vert et revenus locaux
Depuis le Covid, l’équipe de Kamba Lodge s’appuie sur la course pour diversifier la fréquentation, traditionnellement dominée par l’observation des gorilles occidentaux. « Courir, c’est vivre la forêt par tous les sens », insiste Elza Gillman. Les réservations du week-end ont affiché complet, une première hors saison sèche.
Dans les villages de Mbomo, Mbanzi et Petit Fité, artisans et maraîchers témoignent d’une hausse de revenu. Les gargotes ont écoulé soixante caisses de boisson locale, tandis que les tisserandes vendaient des bandeaux colorés aux supporters. Les recettes, modestes, offrent un argument tangible aux sceptiques de l’écotourisme.
Chaque dossard incluait une contribution de cinq mille francs CFA dirigée vers le fonds anticolliers du parc. Les organisateurs estiment que l’édition 2023 permettra de retirer cent pièges métalliques supplémentaires. Ce geste symbolique renforce le lien entre sport, santé humaine et sauvegarde d’espèces comme le bongo ou le pangolin géant.
La forêt comme salle de classe vivante
La course sert aussi de laboratoire climatique. Grâce aux capteurs portés par certains coureurs, l’université Marien-Ngouabi collecte des données sur la température ressentie sous couvert forestier. Les premiers relevés montrent un différentiel allant jusqu’à six degrés par rapport aux pistes ouvertes, soulignant le rôle tampon des forêts.
Parallèlement, les « jeux olympiques » d’Odzala ont réuni plus de deux cents écoliers. Courses en sac, tir à la corde ou relais d’eau leur apprennent cohésion et conscience environnementale. La ministre s’arrête auprès d’eux, rappelant que « le civisme écologique commence avec le jeu », sous les applaudissements des parents.
L’édition 2023 voit arriver deux partenaires : la brasserie Brasco et le groupe pétrolier national, engagés via leur programme RSE. Leur appui financier couvre le transport des élèves, la compensation carbone des vols charters et la diffusion en direct sur la télévision publique, élargissant la fenêtre médiatique du parc.
À Mbomo, la cheffe coutumière Ngakila Makaya observe que l’événement « redonne fierté aux jeunes et rappelle que notre forêt vaut davantage que le simple bois d’œuvre ». Son comité villageois souhaite développer des stands de dégustation de miel et des visites guidées du sentier botanique l’an prochain.
Vers un rendez-vous durable
Les écologues alertent cependant : la fréquentation doit rester contenue pour ne pas déranger les éléphants de forêt aux abords des clairières salines. African Parks prévoit donc un plafonnement à deux cents marathoniens et l’obligation de suivre un briefing éthique, inspiré des protocoles des grands trails alpins.
D’autres innovations se dessinent : chrono connecté à une application éducative, points d’encouragement tenus par les clubs juniors de conservation, et parcours alternatif en VTT. Ces idées seront discutées en décembre, lors d’un atelier financé par l’Initiative mondiale pour les forêts, afin d’aligner sport, science et durabilité.
Le marathon d’Odzala confirme ainsi qu’une manifestation sportive peut servir de boussole pour le développement local tout en soutenant la stratégie nationale de diversification touristique. Rendez-vous est pris l’an prochain, sous le même fracas de tam-tam, pour courir, célébrer et, surtout, rappeler que la forêt est un patrimoine vivant.
Pour nombre de participants étrangers, le souvenir marquant reste le silence sonore de la canopée au petit matin, ponctué du cri des calao. « Ce décor n’existe nulle part ailleurs », assure la Sud-Africaine Karen Dunn, promettant de revenir avec des amis trailers.
