Urgence urbaine à Kintélé
Le 6 octobre, l’Institut supérieur d’architecture, urbanisme, bâtiment et travaux publics a ouvert ses portes à Kintélé pour marquer la Journée mondiale de l’habitat et celle de l’architecture. Sous la houlette du Pr Narcisse Malanda, l’événement a rassemblé étudiants, chercheurs et décideurs.
Le thème, « Réponse aux crises urbaines pour promouvoir des solutions face aux défis environnementaux et aux inégalités », a rapidement mis sur la table la question du logement décent. Les échanges ont souligné l’importance d’investir sans délai dans des habitats sûrs, adaptés et accessibles.
Des chiffres qui alertent
S’appuyant sur les données du ministère de l’Environnement, le Pr Malanda a rappelé que la température moyenne nationale a gagné 0,07 % en un demi-siècle, tandis que le Congo figure parmi les pays les plus vulnérables et les moins prêts face au changement climatique.
Dans le même temps, la croissance démographique annuelle avoisine 10 %, densifiant les quartiers existants et ouvrant de nouvelles poches urbaines souvent dépourvues d’équipements. Cette conjonction climat-population rend urgente la planification et la gestion raisonnée du foncier.
Brazzaville et Pointe-Noire sous pression
Les intervenants ont pointé l’héritage des plans directeurs coloniaux qui structurent encore Brazzaville et Pointe-Noire. L’expansion périphérique s’y déploie sans toujours respecter les zones inondables ni les servitudes écologiques, aggravant érosions, glissements de terrain et ensablement.
À Talangaï, Mfilou ou Mpaka, les fortes pluies enregistrées jusqu’en juin ont submergé maisons et voiries. Selon la mairie de Brazzaville, plus de 3 000 résidents ont dû temporairement quitter leur domicile cette saison, preuve d’une vulnérabilité croissante des infrastructures.
Paroles d’habitants déplacés
Clarisse, commerçante de 29 ans, raconte avoir relogé sa famille chez des cousins après l’effondrement d’une berge à Mfilou. « Nous voulons simplement un terrain sécurisé et un petit prêt pour reconstruire proprement », dit-elle, espérant l’aide conjointe des autorités et des ONG.
À Pointe-Noire, le pêcheur Arnaud Mfoutou s’inquiète des remblais successifs qui grignotent la mangrove. Les eaux montent plus haut, menacent ses cases et perturbent la reproduction des poissons. « Un meilleur aménagement préserverait nos activités », insiste-t-il, plaidant pour davantage de concertation.
Pistes gouvernementales vers la résilience
Les participants ont salué les programmes de réhabilitation des grands collecteurs d’eau lancés par le ministère de l’Équipement. Leur extension promise à Makélékélé et Ngoyo devrait réduire les crues soudaines. Le directeur général de l’urbanisme a confirmé l’actualisation du code de l’urbanisation, attendue avant 2025.
Un fonds spécial pour l’architecture d’urgence est également envisagé. Il mobiliserait les redevances carbone issues de projets REDD+ et les orienterait vers le logement social. D’après un expert du Trésor, la mécanique financière est « en cours de structuration avec des partenaires multilatéraux ».
Architecture humanitaire : un savoir-faire local
Les écoles congolaises d’architecture multiplient les ateliers terrain. À Djiri, de jeunes diplômés testent un module d’habitat démontable en briques de terre stabilisée et bambou local. Le coût par unité reste inférieur à trois millions de francs CFA, selon l’ingénieure Nadège Mbemba.
L’Ordre national des architectes note que ces prototypes respectent la norme parasismique nationale et peuvent être assemblés en une semaine par une équipe formée de riverains. « Nous voulons transférer les compétences directement aux communautés », précise le président de l’Ordre, Eugène Nganga.
Financement et partenariats possibles
La Banque de développement des États d’Afrique centrale étudie une ligne de crédit dédiée aux infrastructures vertes. Elle complèterait les financements déjà mobilisés par l’Agence française de développement pour les quartiers Ngamakosso et Tié-Tié, où sont prévus bassins de rétention et espaces verts.
Le Programme des Nations unies pour les établissements humains propose, de son côté, un appui technique pour cartographier les zones à haut risque grâce aux images satellites du service Copernicus. Les municipalités disposeront ainsi d’outils d’alerte précoce et de scénarios d’évacuation plus précis.
Agir dès aujourd’hui
Au terme des débats, un appel commun a été lancé pour respecter les schémas directeurs, limiter les constructions dans les ravins et accélérer le reboisement des versants. Les intervenants insistent sur un suivi citoyen pour garantir l’entretien des ouvrages publics une fois livrés.
« La ville résiliente n’est pas un rêve lointain, mais un chantier partagé », a résumé le Pr Malanda en clôture. En unissant action publique, profession d’architecte, capital privé et savoirs communautaires, Brazzaville et Pointe-Noire peuvent devenir des laboratoires régionaux du logement durable.
Perspectives régionales
Les solutions décrites à Kintélé intéressent déjà les municipalités de Dolisie et Ouesso, confrontées à des défis similaires. Un comité inter-villes vient d’être créé pour partager données pluviométriques, inventaires de glissements et répertoires de bonnes pratiques, avec l’appui technique de l’Observatoire national des risques urbains.
Cette coordination régionale devrait aussi faciliter l’accès aux fonds climat de la Banque mondiale, qui exige désormais des projets intégrés à l’échelle des bassins versants. Les maires se donnent six mois pour établir une carte unique des zones rouges, préalable essentiel à toute demande d’aide.
Les experts présents estiment qu’un million d’habitants supplémentaires pourraient bénéficier d’infrastructures plus sûres si cette mutualisation est financée d’ici deux ans.
