Une parution très attendue
Deux décennies après une première édition parue chez L’Harmattan, la réédition du « Droit administratif congolais » circule désormais sous la bannière des Presses universitaires de Brazzaville. Les 457 pages de ce volume, publié en 2023, témoignent du patient travail d’actualisation réalisé par le professeur Placide Moudoudou, agrégé de droit public et juge à la Cour constitutionnelle. Le chroniqueur que nous sommes constate qu’il ne s’agit plus, comme en 2003, d’un simple manuel destiné à guider l’étudiant, mais d’un essai savamment construit, en phase avec un ordre juridique congolais de plus en plus constitutionnalisé.
Des ambitions scientifiques renouvelées
En entrevue, l’auteur revendique un projet « à mi-chemin entre la dogmatique et la sociologie du droit » (entretien avec l’auteur, Brazzaville, avril 2024). Sa démarche épouse trois impératifs : offrir une cartographie complète des textes, analyser la jurisprudence émergente et interroger la capacité de l’appareil administratif à accompagner la dynamique démocratique enclenchée au cours de la dernière décennie. L’ouvrage s’inscrit ainsi dans un mouvement plus large de réhabilitation du droit public africain, souvent injustement réduit à un simple réceptacle de normes importées.
Le tournant conceptuel de l’État de droit
Le droit administratif congolais, héritier direct du modèle français, s’émancipe progressivement de son archetype métropolitain. Cette trajectoire, observe le professeur Moudoudou, s’explique par la « résilience institutionnelle » qui a suivi les conférences nationales africaines des années 1990. La centralité de la Constitution de 2015 fait émerger un droit plus attentif à la proportionnalité entre ordre public et protection des droits fondamentaux. Les pages consacrées aux sources du droit illustrent la montée en puissance du contrôle de constitutionnalité, désormais perçu comme garant d’un équilibre subtil entre autorité et libertés.
Décentralisation et citoyenneté active
Au chapitre de l’organisation territoriale, l’auteur note que la décentralisation ne se limite plus à un transfert technique de compétences. Elle devient vecteur de participation citoyenne, embryon d’accountability et creuset d’innovation locale. Les conseils départementaux, érigés en véritables laboratoires de gestion publique, disposent d’outils juridiques consolidés pour dialoguer avec l’administration centrale. Selon un haut fonctionnaire interrogé, cette évolution traduit « la volonté politique, au plus haut niveau de l’État, de rapprocher l’action publique des attentes des populations » (entretien, Brazzaville, février 2024).
La jurisprudence, laboratoire d’innovation
Sur le terrain contentieux, la Cour suprême, le Conseil d’État et, plus récemment, la Cour constitutionnelle multiplient des arrêts qui structurent la matière. L’ouvrage recense, commente et met en perspective une centaine de décisions rendues entre 2003 et 2022. Il en ressort que le juge administratif apparaît désormais comme un acteur de la régulation socio-économique, veillant à l’équilibre budgétaire des services publics tout en sanctionnant les atteintes disproportionnées aux droits des usagers. Cette mutation témoigne d’une maturation doctrinale que le professeur Moudoudou qualifie de « prise de conscience d’un juge protecteur ».
Vers une gouvernance publique responsabilisée
Le volet consacré aux responsabilités administratives est particulièrement éclairant. L’auteur y démontre que la mise en cause de la responsabilité de l’État s’est progressivement détachée de la logique de puissance publique pour épouser celle de la bonne gouvernance. Les régimes de responsabilité pour faute et sans faute illustrent cette réorientation : au-delà de la réparation, l’objectif vise la prévention et la performance. L’ouvrage souligne également l’influence croissante du droit communautaire de la CEMAC, qui, par le truchement de directives prudentielles, irrigue la gestion des services publics marchands, consolidant ainsi la stabilité macroéconomique souhaitée par les autorités nationales.
Entre rayonnement régional et exigence académique
Rares sont les travaux africains en droit public qui conjuguent densité théorique et enracinement empirique. En ce sens, la nouvelle édition du « Droit administratif congolais » fait figure de référence. Les universitaires d’Afrique centrale y trouvent le socle d’une comparaison fertile, tandis que les praticiens, magistrats et avocats disposent d’un instrument de travail méthodique. Le lectorat diplomatique n’est pas en reste : en offrant une grille de lecture fine de l’appareil administratif congolais, l’ouvrage facilite la compréhension des politiques publiques conduites sous l’impulsion du président Denis Sassou Nguesso et de son gouvernement. C’est là sans doute la marque d’un droit administratif pleinement ancré dans les réalités contemporaines, capable de soutenir la modernisation de l’État tout en confortant la confiance des partenaires internationaux.