Un verdict emblématique pour la Likouala
Dans la moiteur équatoriale d’Impfondo, chef-lieu du département de la Likouala, le prétoire du Tribunal de Grande Instance a rendu, le 26 juin 2025, une décision appelée à faire jurisprudence. Trois citoyens congolais furent respectivement condamnés à trois ans pour Jodel Mouandola et à deux ans pour Arel Ebouzi ainsi que Parfait Mbekele, assortis d’une amende solidaire d’un million de francs CFA et de trois millions de dommages et intérêts. À l’heure où la communauté internationale scrute la capacité des États forestiers du Bassin du Congo à protéger leur biodiversité, ce verdict illustre, selon plusieurs observateurs, l’évolution d’une justice de plus en plus outillée face aux délits environnementaux.
Une chaîne logistique du trafic minutieusement déjouée
Les faits s’enracinent le 27 mai 2025. Sur le quai fluvial d’Impfondo, gendarmes et agents de l’Économie forestière interceptent Mouandola et Ebouzi, porteurs d’une peau de panthère, de quatre griffes et de plusieurs kilos d’écailles de pangolin géant. Quelques heures plus tard, une dénonciation anonyme conduit à l’arrestation de Mbekele, présumé propriétaire des trophées. La reconstitution des déplacements des prévenus laisse entrevoir une filière s’appuyant sur les voies d’eau pour joindre les frontières centrafricaines et congolaises, avant de rallier les places marchandes urbaines. La rapidité de la coordination opérationnelle a néanmoins rompu cette logistique, soulignent les autorités locales.
Le socle juridique congolais en matière de faune
La loi n°37-2008 du 28 novembre 2008, régissant la faune et les aires protégées, interdit formellement l’importation, l’exportation, la détention et le transit d’espèces intégralement protégées sans autorisation scientifique ou de reproduction. Le pangolin géant et la panthère figurent tous deux à l’annexe I de la Convention sur le commerce international des espèces menacées (CITES), dont la République du Congo est partie depuis 1983. En appliquant des peines privatives de liberté effectives, le tribunal renforce la portée dissuasive du dispositif national tout en réaffirmant l’alignement du droit congolais sur les engagements multilatéraux.
Une coopération inter-agences en consolidation
La réussite de l’opération tient à la synergie entre la gendarmerie, la Direction départementale de l’Économie forestière, la justice et le Projet d’appui à l’application de la loi sur la faune sauvage (PALF). Depuis 2009, ce partenariat public-privé fournit un appui technique – formation des enquêteurs, archivage des scellés, constitution de dossiers – qui a déjà permis plus de 600 arrestations, selon les données du ministère de l’Économie forestière. Des officiers de police judiciaire confient que les modules de traçabilité des réseaux et de gestion de la preuve ont sensiblement accru le taux de condamnation.
Des enjeux socio-économiques complexes
Dans la Likouala, zone enclavée où la pêche et le négoce de produits forestiers constituent souvent l’unique source de revenus, la tentation du braconnage demeure élevée. Le kilogramme d’écailles de pangolin peut se négocier jusqu’à 400 USD sur certaines places asiatiques, selon les estimations de TRAFFIC. Cet attrait financier nourrit des réseaux transfrontaliers que la pandémie de COVID-19, paradoxalement, n’a pas endigués. Pour autant, la mise en œuvre de projets alternatifs – collecte durable de non-ligneux, développement de chaînes de valeur cacao-miel – montre, d’après les services déconcentrés, une lente mais réelle diversification économique.
Vers une jurisprudence dissuasive
Le quantum des peines prononcées à Impfondo, bien qu’inférieur au maximum de cinq ans prévu par la loi, apparaît comme un signal ferme. « Nous entrons dans une ère où le risque d’incarcération devient tangible pour les trafiquants », confie un magistrat sous couvert d’anonymat. Plusieurs ONG saluent un basculement d’une justice longtemps perçue comme clémente vers un régime de tolérance zéro. Dans les couloirs du palais de justice, des étudiants en droit environnemental voient dans ce dossier un cas d’école sur la preuve matérielle et l’admission des aveux.
La diplomatie environnementale de Brazzaville
Sur la scène régionale, Brazzaville a multiplié les initiatives pour renforcer la gouvernance forestière : signature de l’Accord de partenariat volontaire FLEGT avec l’Union européenne, création de la Commission Climat du Bassin du Congo, accueil régulier des réunions ministérielles de l’Organisation africaine des forêts. Le succès de l’opération d’Impfondo s’inscrit dans cette trajectoire de crédibilité internationale. Un diplomate européen en poste à Kinshasa souligne que « la cohérence entre discours et application de la loi constitue un argument majeur lors des négociations d’aide climat ».
Prochaines étapes pour la conservation
Si le verdict constitue une étape, les autorités envisagent désormais d’étendre les brigades mixtes le long de la Sangha et de la Likouala-aux-Herbes, couloirs identifiés comme sensibles. Par ailleurs, la digitalisation du suivi judiciaire par le ministère de la Justice devrait améliorer la traçabilité des dossiers et la compilation des données statistiques. Enfin, des sensibilisations ciblant les communautés riveraines sont programmées pour consolider l’adhésion sociale à la protection des espèces emblématiques. À moyen terme, cette approche holistique pourrait transformer le procès d’Impfondo en pivot d’une politique faunique durable, conciliant impératifs de conservation et aspirations au développement local.