Un pilier énergétique sous contrainte
Vue depuis les crêtes vallonnées de la Léfini, la voûte en béton d’Imboulou reste imposante. Pourtant, dans la salle des machines, trois groupes de 30 MW demeurent silencieux. La production nationale perd ainsi près de 90 MW, soit un quart de la demande des ménages urbains, selon E²C.
Quinze ans de service, le poids du temps
Entré en service en 2010, l’ouvrage a longtemps symbolisé l’électrification accélérée du pays. Ses turbines de conception chinoise ont tourné sans interruption durant une décennie. Les premières vibrations anormales sont apparues à partir de 2021, puis les infiltrations d’eau ont fragilisé les dalles en 2023, expliquent les techniciens sur place.
Diagnostic technique sans équivoque
Lors de la mission conjointe conduite par le directeur de cabinet du ministère de l’Énergie, Frédéric Manienze, les ingénieurs ont relevé des fissures millimétriques dans le radier, la corrosion des rotors et l’usure avancée des roulements. « Le mal demande des solutions lourdes mais maîtrisables », juge Victor Biangui, chef d’équipe maintenance.
Une seule turbine valide, vigilance maximale
Le groupe 1 assure encore 30 MW. Des capteurs de vibration en temps réel surveillent son alternateur. « Nous tenons grâce à une redondance de pièces importées en 2022 », précise Armel Itoua Ibara Mbi mbi, directeur production d’E²C. Un arrêt inopiné serait géré en moins de deux heures via des turbines relais à Moukoukoulou.
Enjeux pour les communautés riveraines
Dans le district d’Oyo, la microentrepreneure Clarisse Okende témoigne d’une tension électrique instable qui complique la conservation du poisson fumé. Plus loin, l’école de Ngamaba tourne parfois aux lampes solaires. Les coupures restent courtes mais imprévisibles, créant un climat d’incertitude économique, observent les ONG locales.
Stabiliser le béton, première urgence
La société congolaise AITPC injecte depuis juillet un coulis de résine sous pression afin de rehausser les blocs affaissés. Les travaux se déroulent de nuit pour limiter les chocs thermiques. Objectif : restituer la pente initiale de 0,5 % qui garantit l’écoulement sans turbulence dans la conduite forcée.
Harbin Electric attendu pour l’expertise
Le fabricant chinois a confirmé par courrier son arrivée avant fin novembre. Ses métrologues doivent scanner la turbine 2 déjà démontée. Une liste précise de pièces – bagues, aubes directrices, joints dynamiques – sera soumise ensuite aux douanes afin de raccourcir les délais d’acheminement, détaille le ministère.
Retour progressif des groupes 3 et 4
E²C prévoit de réassembler le groupe 4 dès la fin du génie civil, soit mars prochain. Le groupe 3 suivra avant la saison des pluies 2026. Chaque mise en route nécessitera quatre semaines d’essais vibratoires et d’échauffement des enroulements. Le réseau national sera notifié 48 heures avant chaque synchronisation.
Sécuriser l’approvisionnement, un enjeu national
La Central African Power Pool souligne que la marge de réserve du Congo-Brazzaville est passée de 18 % à 6 % depuis 2022. Les importations d’énergie voyageant via le poste de Pointe-Noire se heurtent encore à des coûts élevés. Restaurer Imboulou réduira fortement la facture d’ajustement, estime l’économiste André Massamba.
Financement : mix public-privé confirmé
Le gouvernement a validé un schéma où l’État avance 40 % des 48 millions USD requis, principalement pour les travaux de génie civil. Le reliquat sera mobilisé via un prêt syndiqué mené par la banque China Exim, assorti d’un taux fixe inférieur à 2,5 %, affirme une source proche du dossier.
Formation et transfert de compétences
Douze jeunes ingénieurs du Centre de formation aux métiers de l’énergie suivront, à Harbin, un stage pratique sur la maintenance prédictive. « Nous voulons faire d’Imboulou une école permanente pour la prochaine génération d’hydro-techniciens », insiste Frédéric Manienze, plaidant pour un taux de congolaisation des postes proche de 60 %.
Innovation : jumeau numérique en préparation
Un consortium mixte, regroupant la start-up locale DataRiver et l’INSP, développe une maquette 3D en temps réel du barrage. Capteurs IoT, données hydrométriques et météo régionale seront fusionnés afin de prévoir l’usure avant qu’elle n’apparaisse. Les premiers écrans tests sont attendus dans la salle SCADA d’ici six mois.
Écologie et production vont de pair
L’Agence congolaise de la biodiversité assure que les opérations se feront sans perturber la zone de frai des poissons migrateurs. Des vannes écologiques libèrent déjà un débit réservé de 20 m³/s. Des biologistes de l’université Marien Ngouabi suivent la turbidité et le niveau d’oxygène toutes les quinzaines.
Voix des riverains, attentes pragmatiques
« Nous souhaitons un canal de réclamation disponible 24 h/24 », plaide Jonas Mbola, chef de village. E²C rappelle l’existence du numéro vert 1450 et d’une permanence à la mairie d’Oyo. Un service mobile d’alerte SMS sera étendu aux zones côtières dès le mois prochain.
Calendrier partagé et transparence
Un tableau de bord public affichera l’avancement des jalons majeurs : arrivée des pièces, fin des injections de résine, remise en eau des conduites. Le document sera hébergé sur le portail du ministère et actualisé chaque vendredi. Les visites citoyennes continueront sur inscription, comme lundi dernier.
Cap sur une transition énergétique inclusive
Le redémarrage d’Imboulou s’inscrit dans la dynamique fixée par le Plan national de développement 2022-2026, qui vise 85 % d’électricité renouvelable dans le mix. L’ouvrage restaure une confiance indispensable pour attirer de nouveaux projets solaires et de biomasse dans les zones rurales.
Perspectives à long terme
Une étude d’optimisation du bassin Léfini prévoit l’ajout possible d’une cinquième turbine basse chute pour valoriser le débit d’étiage. Cette extension, encore à l’étape d’avant-projet, porterait la puissance installée à 150 MW sans créer de nouveaux impacts environnementaux majeurs, assure le Bureau national d’études techniques.
