Une journée pour ancrer la vision numérique de l’État
Le 16 juillet dernier, la salle de conférence du ministère des Postes, des Télécommunications et de l’Économie numérique a réuni une mosaïque d’acteurs rarement visibles sous un même toit : membres du gouvernement, spécialistes de la cybersécurité, opérateurs télécoms, financiers internationaux et représentants de la société civile. Tous ont répondu à l’appel du ministre Léon Juste Ibombo pour célébrer la première Journée nationale de l’identité numérique, point d’étape hautement symbolique de la stratégie « Congo Digital 2025 ». Dans son allocution d’ouverture, le ministre a rappelé que « l’identité numérique n’est plus un luxe technologique mais un prérequis de la gouvernance moderne », soulignant la volonté présidentielle de placer le pays dans le peloton des nations africaines les plus avancées sur la question.
Dans le sillage de l’Afrique connectée
À l’échelle continentale, plusieurs États, du Rwanda à l’Estonie africaine qu’est souvent présentée la Namibie, ont démontré l’effet d’entraînement d’une identité numérique fiable sur la bancarisation, la fiscalité et la lutte contre la fraude documentaire. Pour Brazzaville, l’enjeu est similaire : sécuriser l’environnement juridique et technologique afin d’offrir à chaque citoyen un identifiant unique, interopérable et reconnu par l’administration comme par le secteur privé. Les débats de l’atelier ont ainsi pointé l’impératif d’un alignement avec les standards de l’Union africaine et de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, gage de compatibilité régionale et de mobilité facilitée.
Un écosystème normatif en gestation
Si le Congo dispose déjà d’un arsenal législatif encadrant la protection des données personnelles depuis la loi de 2019 relative à la cybersécurité, certains dispositifs restent à préciser. Les juristes présents ont plaidé pour l’institutionnalisation d’une Autorité nationale de la protection des données, indépendante dans son fonctionnement mais opérant sous l’égide du gouvernement. À leurs yeux, la confiance du citoyen est indissociable d’un contrôle public fort, capable de surveiller la collecte biométrique, l’archivage crypté et l’usage algorithmique des identités numériques.
La question de la souveraineté a occupé une place centrale. « Numériquement, la souveraineté se mesure à la maîtrise des infrastructures autant qu’à celle des algorithmes », a rappelé un expert congolais en cryptographie. D’où la nécessité, exprimée à plusieurs reprises, de localiser les centres de données stratégiques sur le territoire national et de renforcer la formation d’ingénieurs pour limiter la dépendance aux prestataires extérieurs.
L’intelligence artificielle comme catalyseur
Le Centre africain de recherche en intelligence artificielle, hébergé à Brazzaville depuis 2021, a été présenté comme la « clé de voûte » d’un futur écosystème où se croiseront apprentissage automatique, cybersécurité et gouvernance publique. Articulé au Projet d’accélération de la transformation numérique financé par la Banque mondiale pour 100 millions de dollars, le centre devra fournir des solutions de reconnaissance biométrique à faible marge d’erreur, applicables tant à l’état civil qu’aux programmes d’inclusion financière. Ses chercheurs planchent déjà sur un protocole d’enregistrement hors ligne destiné aux zones rurales à faible couverture, afin de garantir une inscription universelle.
Partenariats technologiques et transfert de compétences
Côté privé, le groupe français Thales, représenté par Laurent Jutard, a détaillé la chaîne de valeur qu’il entend mettre à disposition : cartes à puce hautement sécurisées, plateformes d’authentification en ligne et solutions de signature électronique. L’entreprise assure que 80 % des modules logiciels critiques pourront être internalisés au terme d’une phase de transfert de compétences étalée sur quatre ans. Pour le gouvernement congolais, cet engagement répond au double objectif de modernisation et de création d’emplois qualifiés, condition sine qua non d’une appropriation nationale durable.
Inclusion sociale et réduction de la fracture numérique
Au-delà des considérations techniques, les participants ont insisté sur la dimension sociale du projet. L’identité numérique n’aura de sens que si elle permet à un étudiant de s’inscrire à l’université en quelques clics, à un agriculteur de percevoir une subvention sans intermédiaire ou à une mère de famille d’accéder à la couverture maladie universelle sans déplacements coûteux. Le ministère du Plan anticipe qu’un registre d’identité fiable pourrait économiser près de 2 % du PIB en rationalisant les filets sociaux et la commande publique. Ce chiffre, issu d’une étude interne, illustre la valeur économique d’une simple réduction des doublons administratifs.
Sécuriser les transactions pour stimuler l’économie
La communauté bancaire, représentée par l’Association professionnelle des établissements de crédit, observe que la fraude documentaire reste l’un des premiers freins au développement des services financiers digitaux. Une identité numérique robuste offrira la possibilité d’ouvrir un compte en ligne dans un cadre sécurisé, tout en renforçant les exigences de lutte contre le blanchiment. Les fintech locales, pour leur part, y voient le chaînon manquant permettant de déployer à grande échelle des portefeuilles mobiles compatibles avec les normes internationales.
À court terme, le Trésor public espère, grâce à la plateforme d’authentification, élargir la base fiscale en simplifiant l’immatriculation des contribuables. À moyen terme, les start-up du e-commerce envisagent de capitaliser sur la signature électronique pour consolider la confiance dans les transactions domestiques et transfrontalières.
Défis logistiques et impératif de formation
Les interventions n’ont pas éludé les obstacles, à commencer par la couverture réseau encore inégale entre la capitale et les zones forestières septentrionales. Le ministère des Finances estime à 12 000 le nombre de kits biométriques nécessaires pour assurer une campagne d’enrôlement exhaustive, un investissement conséquent que le PATN financera partiellement. Par ailleurs, l’université Marien-Ngouabi s’apprête à inaugurer un master spécialisé en gouvernance numérique, destiné à former la génération d’administrateurs publics capables de piloter et d’auditer le futur système d’identité.
La dimension culturelle représente un deuxième défi. Convaincre les populations rurales d’abandonner un carnet d’état civil papier transmis de génération en génération exigera une pédagogie de proximité, appuyée par les leaders communautaires et les confessions religieuses. Les sociologues recommandent une approche progressive, combinant séances de sensibilisation et démonstrations pratiques pour instaurer la confiance.
Une dynamique irréversible vers la souveraineté numérique
En clôturant la journée, Léon Juste Ibombo a tracé un horizon clair : faire de l’identité numérique la colonne vertébrale d’une administration entièrement dématérialisée d’ici à 2030. Les rapports consolidés de l’atelier seront versés au prochain Conseil des ministres, avant une traduction réglementaire attendue dès le premier semestre 2024. À l’heure où l’Union africaine promeut l’interopérabilité des identifiants dans le cadre de l’Agenda 2063, Brazzaville veut se présenter comme un acteur moteur, misant sur la qualité de son cadre légal et la vigueur de ses partenariats internationaux.
Loin d’être un chantier strictement technologique, l’identité numérique se révèle un laboratoire de gouvernance, un accélérateur d’inclusion et un outil de souveraineté. En scannant le futur, Brazzaville rappelle qu’au XXIᵉ siècle, la carte d’identité se double d’un passeport vers l’économie du savoir.