Cadre normatif et héritage historique des concessions
Depuis la promulgation du Code forestier de 2020, le Congo-Brazzaville a posé les bases d’une gestion durable de ses vingt-deux millions d’hectares de forêts productives. Inspiré des modèles d’aménagement intégrés de la sous-région, ce corpus législatif prévoit un régime de concessions fondé sur des contrats pluriannuels – les conventions d’aménagement et de transformation industrielle – censés conjuguer rentabilité économique et préservation des écosystèmes. Or, l’histoire récente a vu certaines conventions, conclues entre 2004 et 2008, atteindre leur terme sans qu’un avenant définitif ne soit paraphé, ouvrant la voie à des autorisations dites provisoires.
Ces titres transitoires, délivrés par l’autorité de tutelle afin d’éviter une interruption brutale de l’activité, s’inscrivent dans une logique de continuité de service public. Leur finalité est officiellement de permettre aux opérateurs de poursuivre l’exploitation le temps de finaliser de nouveaux cahiers des charges alignés sur les orientations stratégiques prônées par le Gouvernement et soutenues au plus haut niveau de l’État.
Des enjeux économiques au cœur d’une filière stratégique
Le secteur forestier représente environ huit pour cent du produit intérieur brut congolais et constitue, après les hydrocarbures, la seconde source de devises. Face à la volatilité des cours pétroliers, Brazzaville a fait de la diversification économique un axe prioritaire, conformément au Plan national de développement 2022-2026. Les scieries installées le long du corridor fluvial emploient plusieurs milliers de travailleurs tout en dynamisant les collectivités riveraines grâce aux fonds de développement local prévus par la loi.
La prorogation temporaire de certains permis, à travers les titres provisoires, a donc été perçue par les opérateurs comme une garantie de stabilité. Aux yeux de certains économistes, suspendre ces autorisations sans filet de sécurité pourrait entraîner des pertes de revenus et compromettre l’objectif de transformation sur place des grumes, objectif cher au président Denis Sassou Nguesso pour maximiser la valeur ajoutée nationale.
La société civile en vigilance sur la légalité des pratiques
Dans une note de position rendue publique le 27 juin 2025, un collectif de dix-sept organisations, emmené par l’Observatoire congolais des droits de l’homme, a exprimé sa préoccupation quant à la pérennisation de ces dispositifs transitoires. S’appuyant sur des missions de terrain conduites dans les départements de la Sangha et de la Likouala, les enquêteurs soulignent des écarts présumés entre les obligations contractuelles et la réalité des investissements industriels.
Les ONG pointent une absence de nouveaux cahiers des charges particuliers encadrant les relations avec les communautés autochtones, accentuant selon elles le risque de conflits fonciers. Estimant que le statu quo affaiblit la crédibilité de la filière auprès des partenaires techniques et financiers, elles plaident pour une annulation pure et simple des titres provisoires jugés « illégaux », invoquant l’article 175 du Code forestier qui fixe strictement les conditions de renouvellement.
Réactions institutionnelles et dynamiques de réforme
Le ministère de l’Économie forestière, par la voix du directeur général des forêts, rappelle que les autorisations provisoires répondent à un impératif de bonne gouvernance consistant à éviter une rupture d’activité aux conséquences sociales majeures. Il précise que chaque dossier fait l’objet d’un audit technique et financier confié à un cabinet indépendant, et qu’un comité interministériel est chargé depuis février 2025 d’harmoniser les procédures de renouvellement en concertation avec les parties prenantes.
Cette démarche s’inscrit dans la feuille de route plus large de la Commission nationale de lutte contre l’exploitation illégale du bois, créée en 2023 sous l’autorité du Premier ministre. Les autorités soulignent également la mise en œuvre progressive du Système informatisé de vérification de la légalité, outil numérique qui doit, à terme, sécuriser la traçabilité de la chaîne d’approvisionnement et répondre aux exigences des marchés internationaux, notamment européens.
Dialogue multipartite et pistes d’équilibre
Si la société civile recommande l’annulation immédiate des permis provisoires, plusieurs universitaires congolais plaident pour une solution médiane qui préserverait à la fois la sécurité juridique des investisseurs et les droits des populations locales. Le professeur Antoine Massengo, spécialiste de sociologie du développement à l’Université Marien-Ngouabi, souligne que « la gouvernance forestière ne peut progresser que par une contractualisation transparente, assortie d’indicateurs mesurables et d’un contrôle citoyen renforcé ».
Dans cet esprit, le Sénat a inscrit à son agenda législatif une proposition visant à introduire un mécanisme de redevance progressive indexée sur le respect des normes environnementales. Un tel dispositif inciterait les opérateurs à anticiper les exigences de la nouvelle génération de concessions, tout en finançant la restauration des paysages dégradés et le développement d’alternatives économiques pour les communautés.
Regards croisés des partenaires internationaux
Les bailleurs bilatéraux saluent la volonté affichée par Brazzaville de consolider un climat des affaires propice à la valeur ajoutée locale. La Banque africaine de développement, engagée dans la construction de la route Ouesso-Bangui, rappelle que la viabilité de ce corridor dépend en partie d’une exploitation forestière régulée. De son côté, l’Organisation internationale des bois tropicaux relève dans son rapport 2024 des progrès en matière de certification, même si elle invite à accélérer la formalisation des titres afin de lever toute ambiguïté sur la légalité des flux.
La convergence de ces regards souligne que la question des titres provisoires dépasse la seule arène nationale : elle touche à la réputation du pays sur les marchés émergents du carbone, au moment où Brazzaville promeut la valorisation de ses services écosystémiques dans les enceintes climatiques internationales. Le règlement rapide et concerté de ce dossier apparaît donc comme une étape clé pour conforter la diplomatie environnementale congolaise.
Vers une gouvernance forestière plus inclusive
La controverse autour des titres provisoires rappelle l’équilibre délicat entre continuité économique et impératif légal. Elle met aussi en exergue la maturité croissante de la société civile congolaise, interlocutrice désormais incontournable dans l’élaboration des politiques publiques. À l’heure où le pays s’engage dans la décennie de la diversification, la consolidation d’un dialogue tripartite – État, opérateurs, communautés – constitue l’option la plus à même de garantir une exploitation durable et profitable à tous.
Le Gouvernement, soucieux de maintenir la confiance des partenaires tout en soutenant la dynamique sociale impulsée par le chef de l’État, semble résolu à transformer cette controverse en opportunité de réforme. L’adoption attendue, avant la fin de l’année, d’une grille révisée de cahiers des charges pourrait clore la parenthèse provisoire et inscrire définitivement la filière forestière congolaise dans la trajectoire de la durabilité.