Forêts et gouvernance au cœur de Brazzaville
Sous la voûte végétale qui couvre plus de 22 millions d’hectares, le Congo-Brazzaville cherche à conjuguer rendement économique et sauvegarde de son capital forestier. L’atelier organisé fin août 2025 à Brazzaville vient rappeler l’urgence d’une gouvernance éthique de la filière bois.
Deux organisations, Rencontre pour la paix et les droits de l’homme et Transparency International-Cameroun, ont placé l’intégrité au cœur des débats, sous le regard attentif de l’inspection générale des services de l’économie forestière et d’un aréopage de ministères, douanes, forces de l’ordre et représentants du secteur privé.
Les intervenants ont dressé un état des lieux sans concession: insuffisante traçabilité, contournements fiscaux et pénétration persistante de circuits informels compromettent la crédibilité des exportations vers l’Asie et l’Europe, alors même que le bois constitue la seconde recette de l’État après les hydrocarbures.
Une filière bois sous surveillance internationale
Financé par l’Agence norvégienne de coopération Norad, le projet porté par l’ONG Traffic s’inscrit dans une logique globale: sécuriser l’offre des pays producteurs tout en répondant aux exigences environnementales de la Chine et du Viêt Nam, acheteurs majeurs de grumes congolaises.
«Nous travaillons simultanément sur l’offre et la demande afin d’éviter qu’une simple interdiction locale ne déplace le problème ailleurs», a expliqué Patrice Kamkuimo, responsable gouvernance forestière à Traffic, rappelant que la réputation du massif du Congo pèse sur l’image même du continent.
Vers un cadre normatif contextualisé
Au terme de deux jours d’échanges, les participants ont convenu d’élaborer un code d’éthique «vêtu des couleurs de notre contexte», selon les mots de Christian Mounzéo. L’objectif est d’éviter les transpositions mécaniques de normes étrangères parfois inadaptées au foncier coutumier ou aux réalités logistiques locales.
Le futur référentiel couvrira la cartographie des risques, la déclaration des conflits d’intérêts, la protection des lanceurs d’alerte et la standardisation des contrats villageois. Il devra être validé par l’administration forestière, les sociétés concessionnaires et les communautés, afin de garantir son caractère inclusif.
Complexité des chaînes d’exportation
Depuis Pointe-Noire jusqu’aux ports asiatiques, une cargaison de bois traverse parfois quatre juridictions et autant d’intermédiaires. Chaque maillon génère une opportunité de fraude, qu’il s’agisse de sous-déclaration de volumes, de reconditionnement frauduleux ou de transferts de propriété opaques entre filiales basées à l’étranger.
Pour limiter ces brèches, le Congo mise sur la certification électronique des titres forestiers et l’utilisation de codes QR apposés sur chaque grume. Ce dispositif, encore en phase pilote, permettrait aux douanes d’authentifier en temps réel la parcelle d’origine et la société exploitante.
Rôle clé des parties prenantes publiques
L’inspecteur général Maixan Guillaume Tabaka rappelle que la loi de 2000 a ouvert la voie au contrôle indépendant par la société civile, pratique saluée dans toute la sous-région. Les observateurs externes peuvent aujourd’hui accéder aux sites d’exploitation et publier leurs constats, renforçant la reddition de comptes.
Le ministère de l’Économie forestière envisage en parallèle de renforcer la formation des agents de l’État pour que la déontologie devienne un réflexe quotidien. Une session de recyclage est prévue chaque semestre, avec un module spécifique sur la convention de l’Organisation internationale des bois tropicaux.
Engagement renouvelé des organisations civiles
La RPDH, fer de lance du plaidoyer, entend diffuser le futur code dans les langues vernaculaires afin que les riverains puissent l’invoquer lors des négociations de cahiers de charges. L’ONG mise aussi sur des radios communautaires pour vulgariser les procédures de plainte et les mécanismes de recours.
Des communautés autochtones du département de la Sangha ont déjà fait valoir des indemnités pour non-respect de quotas de sciage local. Leur victoire devant le tribunal d’Owando, rendue en 2024, illustre l’évolution d’un droit indigène longtemps marginalisé, désormais soutenu par des alliances nationales et internationales.
Perspectives pour un marché vert compétitif
En garantissant la légalité des flux, les acteurs souhaitent maintenir l’accès aux marchés européens soumis au Règlement sur la déforestation importée. Une rupture de confiance coûterait plus cher que la mise en conformité: chaque cargaison bloquée entraîne des pénalités portuaires et ternit la marque Congo.
La Banque mondiale estime que la valeur ajoutée du bois transformé localement pourrait doubler d’ici 2030 si la filière adopte un référentiel éthique robuste. Ce scénario ouvrirait des emplois qualifiés, renforcerait la fiscalité et soutiendrait les objectifs climatiques nationaux inscrits dans la Contribution déterminée au niveau national.
Le code d’éthique annoncé n’est donc pas seulement un instrument moral; il représente un levier de compétitivité et de stabilité macroéconomique. En misant sur la transparence, le Congo-Brazzaville espère démontrer qu’une économie forestière rentable peut aussi devenir un modèle de soutenabilité pour la région.
Suivi et évaluation continue
Les participants ont recommandé la création d’un observatoire national indépendant chargé de publier chaque trimestre un tableau de bord sur les saisies, les sanctions et les progrès de l’audit forestier. Cet outil public permettrait d’alimenter le dialogue avec les investisseurs et les bailleurs de fonds multilatéraux.
Un rapport d’étape sera présenté lors de la Semaine africaine du climat à Addis-Abeba en 2026, occasion attendue pour inscrire l’expérience congolaise dans les initiatives panafricaines de lutte contre la dégradation des écosystèmes. D’ici là, chaque acteur est invité à internaliser la «nouvelle grammaire» de la filière.