Un épicentre en pleine mutation
Sous un ciel assombri par la fumée, le village de Mankoya, en Zambie, vient d’aligner des seaux pour stopper un feu de brousse qui menace ses récoltes.
La scène se répète de Dakar à Dar es Salaam, donnant au continent la triste place d’épicentre des incendies mondiaux, selon une étude parue en 2025 dans Science.
Les chercheurs de l’UNU-INWEH estiment que 85 % des personnes exposées aux flammes vivent en Afrique, alors même que la surface totale brûlée sur le continent a, paradoxalement, diminué de 26 % entre 2002 et 2021.
Sur la même période, l’exposition humaine est montée de 40 %, signe qu’une densité démographique croissante et des fronts pionniers plus fragmentés déplacent le risque vers les habitations et les cultures.
Pourquoi l’exposition humaine grimpe
Dr Bianca Lopez, autrice principale, résume le paradoxe : « La mosaïque d’agriculture, de savane et de villes diffuse la propagation des flammes, mais colle désormais le feu aux portes des foyers. »
Les sécheresses prolongées, renforcées par El Niño, assèchent racines et brins d’herbe, transformant chaque étincelle de brûlis en bête incontrôlable, rappelle la climatologue sud-africaine Amina Ndlovu.
Au sud du Sahara, cinq pays, dont la RDC et le Mozambique, concentrent la moitié des expositions mondiales, mais la ceinture forestière du bassin du Congo n’est pas épargnée.
Zoom sur le bassin du Congo
Dans les savanes côtières du Kouilou et les plateaux Batéké, les feux de brousse sont encore perçus comme un outil de chasse ou de régénération des pâturages, explique Alphonse Mabiala, écologue congolais.
Mais l’arrivée de pistes, de fermes mécanisées et d’habitations éparses change la donne : le feu parcourt moins de kilomètres, mais rencontre dix fois plus d’humains et de biens, selon l’Observatoire national de télédétection basé à Brazzaville.
En 2023, une série de feux a frôlé la réserve de Conkouati-Douli, carbonisant 1 200 hectares de lisière sans atteindre le cœur forestier, grâce aux pare-feux entretenus par les comités villageois.
« Les villageois tracent des bandes de six mètres autour des cultures, puis brûlent tôt le matin quand l’humidité bloque les flammes », détaille Rosalie Tchibota, présidente d’un groupement agricole de Nzambi.
Technologie et savoirs locaux en première ligne
Pour moderniser ces pratiques, l’Agence congolaise de la météorologie teste un système d’alertes SMS couplé à la plateforme FireSat, capable de géolocaliser un nouveau point chaud en moins de quinze minutes.
Les messages, reçus par plus de 6 000 planteurs pilotes, indiquent la direction du vent et le niveau de risque, afin qu’ils reportent tout brûlis ou mobilisent la brigade rurale la plus proche.
Cette approche repose sur l’idée chère aux autorités : combiner innovation et responsabilité communautaire plutôt que miser uniquement sur des moyens lourds d’extinction souvent inadaptés aux pistes de sable.
Capitaliser sur la stratégie nationale
Le Plan national climat, adopté avec l’appui de la Commission Climat du Bassin du Congo, fixe une cible de 20 % de réduction des surfaces brûlées d’ici 2030, notamment par l’agroforesterie et les foyers de cuisson améliorés.
Près de 15 000 jeunes ont déjà été formés à la production de briquettes à base de résidus agricoles, alternative au charbon de bois, réduisant la demande de brûlis et les pressions sur la forêt.
Le ministère de l’Économie forestière travaille également à un fonds de compensation carbone qui rémunérera les villages maintenant le feu sous contrôle, grâce aux standards ART-TREES, attractifs pour les investisseurs.
Financements verts : une opportunité à saisir
Selon la Banque africaine de développement, les mesures de prévention coûtent dix fois moins que la reconstruction post-incendie, mais ne reçoivent encore que 3 % des flux climatiques destinés à l’Afrique.
Plusieurs banques congolaises étudient des prêts bonifiés pour l’achat de batteurs coupe-feu ou la création de ceintures d’agro-manguiers, solutions jugées rentables au bout de quatre saisons.
Un premier projet pilote, soutenu par l’Union africaine, vise à émettre des obligations climat centrées sur la réduction du risque feu, avec un rendement indexé aux hectares sauvegardés, un mécanisme inédit sur le continent.
Les investisseurs institutionnels européens ont déjà manifesté un intérêt, estimant que chaque dollar dépensé pourrait éviter six dollars de pertes agricoles, d’après une note interne de la Banque mondiale.
Vers une prévention communautaire
À Loukoléla, sur les rives du fleuve Congo, des scouts, des pêcheurs et des élèves cartographient chaque brûlis sur un tableau mural, puis négocient des dates communes de mise à feu avec le chef.
Depuis cette coordination, la commune n’a plus connu de pertes de cases, et les parcelles d’igname gagnent en fertilité par l’incorporation des cendres à des doses maîtrisées.
Les experts insistent : le feu n’est pas l’ennemi, c’est l’absence de plan qui le transforme en catastrophe. En dotant les communautés d’outils numériques et de droits fonciers clairs, l’Afrique peut inverser la courbe.
La saison sèche 2024-2025 sera scrutée comme un test. Si les enseignements du bassin du Congo se généralisent, le continent pourrait troquer son statut d’épicentre des flammes contre celui de laboratoire de résilience.
									 
					