La scène brazzavilloise s’illumine d’un souffle juvénile
À peine les luminaires du Palais des Congrès ont-ils embrasé la nuit du 19 juillet que la rumeur des percussions a fait vibrer les gradins. Deux cent cinquante danseurs, trois artistes de renom, leurs slameuses en verve et un public pluriel, ont ouvert la douzième édition du Festival panafricain de musique (Fespam). L’événement, placé sous l’œil attentif du président de la République Denis Sassou Nguesso, rappelle combien la culture demeure un vecteur d’unité et de projection diplomatique pour le Congo. Le thème de l’édition – « Musique et enjeux économiques en Afrique à l’ère du numérique » – inscrit d’emblée la rencontre dans une perspective prospective, loin d’une simple célébration folklorique.
Une chorégraphie kaléidoscopique de la diversité congolaise
Sur scène, la progression chorégraphique semblait épouser le tracé sinueux du fleuve Congo, traversant les douze départements. Des pas de nkassa-ndolo flirtaient avec la rigueur du hip-hop, les portés acrobatiques de la gymnastique contemporaine s’ancraient dans des rythmes traditionnels lari ou mbochi, tandis que la rumba, patrimoine immatériel de l’UNESCO, servait de fil conducteur. Le chorégraphe Gervais Tomadiatunga a revendiqué ce syncrétisme : « Notre musique est un dédale de racines convergentes ; en la mariant au slam et au hip-hop, nous faisons dialoguer les générations », a-t-il confié en coulisses.
La poétique du verbe : le slam comme pont intergénérationnel
Mariusca Moukengue et Black Panthère, figures montantes du spoken word brazzavillois, ont ponctué la soirée de strophes ciselées. Sur fond de cordes et de percussions, leurs mots résonnaient comme des manifestes : « Nous sommes la sève de demain, l’écho des ancêtres et le pouls du Congo », lançait Moukengue. Le public, composé d’étudiants, de diplomates et de délégations étrangères, confirmait par ses ovations la pertinence de ce médium littéraire dans un festival historiquement dominé par la chanson.
Le numérique, nouvel horizon économique des arts vivants
Si la féerie scénique s’est matérialisée dans des corps en mouvement, l’enjeu de fond restait résolument tourné vers les plateformes numériques. Dans un court message, le comité d’organisation a souligné que 70 % des audiences musicales africaines transitent désormais par le streaming, un indicateur stratégique pour l’exportation de la rumba ou du slam congolais. L’initiative conjointe du ministère de la Culture et d’opérateurs télécoms congolais vise ainsi à déployer, dès 2024, un incubateur d’applications dédiées au spectacle vivant, gage de monétisation et d’autonomie pour les jeunes créateurs.
Une vitrine diplomatique et politique assumée
Au-delà des spotlights, la présence du chef de l’État, de son épouse Antoinette Sassou Nguesso et du Premier ministre Anatole Collinet Makosso conférait à la cérémonie une dimension institutionnelle forte. Dans un bref propos, le président a rappelé que « l’unité culturelle précède souvent l’intégration économique ». L’idée selon laquelle la musique peut être un soft power au service de l’image nationale trouve un écho favorable auprès des chancelleries africaines accréditées, lesquelles saluent la stabilité organisationnelle du Fespam, unique festival continental placé sous l’égide officielle de l’Union africaine depuis 1995.
Jeunesse et auto-entrepreneuriat : un appel à la confiance
Le tableau final, intitulé « L’année de la jeunesse », a déployé une scénographie épurée : des silhouettes vêtues de pagnes stylisés se détachaient sur un écran géant diffusant des visuels de startups culturelles congolaises. Message subliminal : la jeunesse n’attend plus qu’on lui ouvre la porte, elle la construit elle-même. Les slameurs ont martelé cette exigence de confiance institutionnelle, tandis que les danseurs traçaient au sol le signe de l’infini, symbole d’espoir renouvelé. Pour nombre d’observateurs, l’enjeu sera désormais d’accompagner ces talents vers des modèles économiques viables, condition sine qua non pour que l’étincelle festive se transforme en chaîne de valeur pérenne.
Vers une nouvelle cartographie des industries culturelles africaines
Le Fespam, par sa périodicité biennale, est devenu un baromètre des mutations créatives du continent. L’édition 2023 confirme l’installation de Brazzaville dans le concert des capitales culturelles, aux côtés de Dakar, Lagos ou Johannesburg. Les retombées attendues ne relèvent pas uniquement du tourisme événementiel ; elles touchent aussi la diplomatie économique, les droits voisins et la structuration des filières de formation artistique. Dans l’enceinte du village du festival, les responsables du Bureau africain des droits d’auteur ont ainsi animé un atelier sur la rémunération des créateurs à l’ère du cloud, illustrant la convergence entre pensée juridique, gouvernance numérique et création.
Perspectives : de la célébration à la consolidation
Au terme d’une soirée que beaucoup qualifient déjà de mémorable, la foule s’est dispersée lentement dans les artères rénovées du centre-ville, résonnant encore des bongos. Reste désormais à transformer l’essai : pérenniser les innovations techniques mises en œuvre, consolider les partenariats public-privé et internationaliser la diffusion des artistes repérés. Les organisateurs promettent une plateforme de streaming labellisée Fespam avant la prochaine édition, tandis que des tournées régionales sont à l’étude. Ainsi s’écrit, entre rythmes et réseaux, le futur d’une jeunesse congolaise qui, forte de son potentiel, entend conjuguer création artistique, développement économique et rayonnement diplomatique.