Un rendez-vous continental sous le sceau du rassemblement
À Brazzaville, les lustres du Palais des congrès se sont allumés dès la tombée du jour, reflétant sur les instruments polis la ferveur d’un continent qui, malgré les aléas macroéconomiques, entend préserver ses carrefours symboliques. En déclarant le Fespam ouvert, le président Denis Sassou Nguesso a réaffirmé la vocation fédératrice de la manifestation, saluant dans la musique « un langage premier de fraternité ». Autour de lui, la maire de la capitale, Dieudonné Bantsimba, et la représentante résidente de l’Unesco, Fatoumata Barry Marega, ont rappelé que le festival est né d’une résolution panafricaine de 1996 et s’enracine désormais dans la cartographie culturelle du continent.
Les messages convergents d’Audrey Azoulay, directrice générale de l’Unesco, et de la ministre Marie-France Lydie Hélène Pongault ont souligné la cohérence entre le Fespam et l’Agenda 2063 de l’Union africaine, qui identifie les industries créatives comme vecteur de diversification économique. Au-delà des tonalités festives, l’événement apparaît ainsi comme un rite social permettant aux États de réaffirmer leur volonté d’intégration régionale sans renoncer à leurs singularités esthétiques.
Le rôle pivot de l’État congolais
Si le format resserré de cette édition témoigne des contraintes budgétaires induites par la conjoncture mondiale, l’engagement institutionnel reste palpable. Le commissaire général, Hugues Gervais Ondaye, a détaillé une programmation qui privilégie la qualité interprétative à la surenchère logistique, optant pour des scènes rationalisées et une diffusion numérique renforcée. Dans ce dispositif, l’État congolais assume une fonction de régulateur et de facilitateur, articulant les contingences fiscales, la logistique sécuritaire et l’accompagnement des artistes.
Cette posture confirme une orientation stratégique plus large : renforcer la diplomatie culturelle comme levier d’influence douce. En soutenant le festival malgré la baisse du prix des matières premières, le gouvernement adresse un signal de stabilité aux partenaires internationaux, tout en confortant l’idée que la paix sociale se nourrit aussi de moments de célébration partagée.
Une économie créative entre résilience et ambition
Les estimations du ministère en charge des industries culturelles évaluent à près de 3 % la contribution du secteur artistique au produit intérieur brut congolais. Bien que marginale en comparaison des hydrocarbures, cette part dévoile une dynamique ascendante. Les stands professionnels installés en marge des concerts, où labels indépendants et plateformes de streaming scrutent de jeunes talents, dessinent une chaîne de valeur en recherche de capitalisation.
Dans les allées du village du Fespam, de jeunes entrepreneurs exposent des solutions de billetterie dématérialisée et des applications de codification des rythmes traditionnels. Ils illustrent un mouvement de numérisation susceptible de contourner certains goulots d’étranglement, comme la rareté des salles équipées ou la difficulté d’exporter physiquement les instruments. Le festival sert ainsi de marchepied à une économie culturelle plus efficiente, raccordée aux marchés diasporiques.
Tisser des liens diplomatiques au rythme des percussions
La présence confirmée de délégations ministérielles venues du Ghana, du Rwanda ou encore de Cuba rappelle que le Fespam est aussi une agora diplomatique. Au-delà des accords bilatéraux usuels, la musique ouvre un espace discursif moins normatif, où les négociations sur les coproductions audiovisuelles côtoient les échanges sur la sécurité culturelle transfrontalière. Une source diplomatique confie, sous couvert d’anonymat, que « la convivialité d’un concert adoucit parfois les points durs d’un protocole ».
Les enjeux sécuritaires ne sont jamais totalement évacués : les autorités congolaises déploient un dispositif de sûreté proportionné, conscient que la réputation d’un festival repose autant sur la virtuosité des orchestres que sur la fluidité des flux humains. L’Unesco, pour sa part, voit dans cette vigilance une garantie de pérennité qui pourrait préfigurer l’inscription du Fespam sur la liste du patrimoine immatériel.
Vers une mémoire partagée et un avenir pluridisciplinaire
En clôture de la première soirée, le conteur ivoirien Wêrê-Wêrê Liking a invoqué les ancêtres musicologues pour « bénir cette confluence de mémoires et de devenir ». Derrière la formule poétique se profile un chantier intellectuel : celui de l’archivage systématique des créations africaines. Le Congo-Brazzaville ambitionne de renforcer, d’ici à 2027, un centre de documentation sonore ouvert aux chercheurs comme au grand public, afin de prolonger l’impact du festival au-delà de l’éphémère scène.
La douzième édition, inaugurée dans la sobriété mais habitée d’une énergie polymorphe, sert donc d’observatoire. Elle traduit la capacité de la société congolaise à articuler fête et lucidité, patrimoine et innovation, centralité étatique et vitalité citoyenne. Sous les tambours, se tisse une pédagogie de la coexistence qui, sans occulter les défis économiques, rappelle qu’aucune trajectoire nationale ne peut se concevoir sans la bande-son qui l’accompagne.