Un prélude chorégraphique voué à l’excellence
Le 12 juillet, dans la grande halle d’un centre culturel de Brazzaville encore baigné par la lumière crue des projecteurs techniques, la compagnie Danse incolore a déroulé un avant-goût de la cérémonie d’ouverture du 12e Festival panafricain de musique prévu du 19 au 26 juillet. À défaut de décors définitifs, les 211 interprètes – sélectionnés parmi plus de trois cents candidats – ont laissé deviner la densité visuelle de la fresque qui lancera officiellement le rendez-vous continental. Battements de tam-tam, scansions électroniques et lignes mélodiques issues des musiques forestières se sont entremêlés afin d’illustrer la simultanéité d’une Afrique pluri-moderne.
Dans l’assistance, la ministre de l’Industrie culturelle, touristique, artistique et des loisirs, Marie-France Hélène Lydie Pongault, a salué « le professionnalisme et l’engagement » des jeunes danseurs. Son enthousiasme, exprimé sans détours, n’est pas qu’un compliment de circonstance : il traduit l’attente politique placée dans cette édition qui doit redorer l’image d’une manifestation longtemps perçue comme intermittente.
Le Fespam, miroir des politiques culturelles congolaises
Créé en 1996, le Fespam a toujours fonctionné comme un thermomètre de l’investissement public dans la culture. Après la parenthèse sanitaire et une conjoncture budgétaire contraignante, la relance de 2024 ambitionne d’inscrire la manifestation dans la durée tout en la rendant plus solvable. Le changement d’intitulé ministériel – passé de « Culture et Arts » à « Industrie culturelle » – consacre l’idée que la création n’est pas un simple ornement social mais un secteur économique à part entière.
Dans cette perspective, l’État congolais mise sur la capacité d’entraînement du Fespam pour structurer des filières locales, du spectacle vivant à la production audiovisuelle. La fébrilité d’hier cède la place à un pilotage calqué sur les normes de l’événementiel international : contractualisation anticipée, assurances, billetterie dématérialisée et diffusion numérique en direct sont désormais intégrés au cahier des charges.
Gervais Tomadiatunga, la signature d’une diaspora exigeante
Choisir Gervais Tomadiatunga comme maître d’œuvre chorégraphique ne relève pas du hasard. Formé au Congo avant d’exposer ses créations sur les scènes européennes, l’artiste incarne une génération qui refuse de dissocier ancrage local et rayonnement global. « Marquer une identité dans mon pays était devenu nécessaire », confie-t-il, soulignant la responsabilité symbolique qu’il assume en revenant travailler « à domicile ».
Sa partition mobilise des danseurs traditionnels, des performers hip-hop, mais aussi des musiciens de l’Orchestre national et des instrumentistes électroniques. Au-delà de l’éclectisme, c’est la question de la professionnalisation qui se joue : salaires, droits voisins et couverture sociale des artistes figurent en bonne place dans les négociations qu’il mène avec le commissariat général, dirigé par Hugues Ondaye. La ministre Pongault l’a confirmé devant la troupe : le cachet sera « traité avec diligence », reconnaissance d’une économie créative qui revendique sa dignité.
Des enjeux économiques réaffirmés à l’ère du numérique
Placée sous le thème « Musique et enjeux économiques en Afrique à l’ère du numérique », cette douzième édition épouse la transformation accélérée des modes de diffusion. L’essor des plateformes de streaming rebat les cartes d’une industrie où la valeur glisse du disque vers la donnée. Le Congo-Brazzaville, qui dispose déjà d’un backbone haut-débit régional, entend connecter la scène du festival à une audience diasporique estimée à plusieurs millions d’internautes.
Selon les estimations du comité d’organisation, chaque million de vues potentielles représente un gisement de revenus publicitaires et de placements de marque susceptible de pérenniser l’événement. L’État, garant de l’infrastructure, se positionne ainsi comme facilitateur d’un marché dont le contenu est généré par des acteurs privés. Dans cette architecture, le spectacle d’ouverture constitue la vitrine capable de catalyser les investissements.
Vers une diplomatie du rythme et du geste
Au-delà des retombées économiques, le Fespam remplit une fonction d’influence régionale. L’alignement des contingents artistiques – des ballets angolais aux brass-bands camerounais – donne à Brazzaville le visage d’un hub panafricain concertant. La chorégraphie de Danse incolore, conçue comme un dialogue entre continents, matérialise cette diplomatie douce fondée sur l’émotion partagée plutôt que sur l’argumentaire géopolitique.
La réussite du spectacle d’ouverture pourrait donc résonner comme un indicateur de stabilité et de créativité nationales. Aux yeux des nombreux diplomates accrédités, il s’agira de la démonstration tangible qu’un investissement culturel soutenu, adossé à la vision du président Denis Sassou Nguesso en matière d’intégration africaine, peut générer un récit positif. Le rideau ne s’est pas encore levé, mais la partition est déjà écrite : faire vibrer, convaincre et fédérer autour d’un même tempo.