Une école en sursis face à l’érosion
Au bout d’une rue sableuse du quartier Sadelmi, l’école primaire publique d’Itsali se dresse au-dessus d’un ravin qui s’élargit à chaque orage. Les pluies de cette saison ont déjà arraché trois mètres de terrain, laissant la clôture en porte-à-faux.
Dans une salle de CM1, la craie grince sur le tableau tandis qu’à travers la fenêtre les élèves voient la terre s’effondrer en contrebas. «Nous avons peur que la classe disparaisse pendant la nuit», confie la directrice, Madame Mvoula.
L’établissement accueille 420 enfants, seule école publique du primaire ici. Si le ravin avance de trois mètres, deux bâtiments et la cantine seront atteints.
Des pluies intenses, facteur aggravant
Selon la direction départementale de la météorologie, l’intensité des averses a augmenté de 18 % en dix ans dans le sud du Congo. Les épisodes courts mais très denses déversent jusqu’à 70 millimètres par heure, gommant la fine croûte sableuse des collines.
Les ingénieurs du Bureau national d’études techniques expliquent que le sous-sol friable de Mfilou, composé de sables quaternaires, devient rapidement instable lorsque les drains sont bouchés ou inexistants. Les torrents de surface sculptent alors des canyons qui avancent vers les habitations.
Voix des communautés de Mfilou
Sur le terrain vague voisin, Jonas, charpentier de 32 ans, montre les marques rouges peintes par les riverains pour signaler la zone à risque. «Nos pères ont eu de la pluie, mais pas ces déluges. Nous devons nous adapter, pas fuir», dit-il.
Mariama, mère de deux élèves, s’inquiète surtout pour l’accès à l’éducation. «Si l’école ferme, il faudra traverser la nationale pour atteindre Djiri. Beaucoup de petites filles abandonneront.» Son témoignage a été relayé lors d’une réunion communautaire le mois dernier.
La riposte budgétaire de l’État
Le budget national 2024 consacre 2 500 milliards FCFA à la lutte contre l’érosion et les inondations, soit 700 milliards de plus que l’an passé. À Mfilou, une enveloppe spécifique de 6 milliards FCFA est programmée pour des travaux de soutènement.
Interrogé, l’ingénieur Patrice Mabiala, chef de projet à la Direction générale des grands travaux, précise que les études topographiques sont terminées et que la première tranche consistera à édifier un mur en gabions de 180 mètres en aval de l’école.
Le lancement est prévu avant la prochaine grande saison des pluies. Les autorités veulent mobiliser des entreprises locales pour employer les jeunes du quartier.
Solutions basées sur la nature
Les spécialistes recommandent de combiner ouvrages d’ingénierie et végétalisation. Des bandes de vétiver, plante aux racines profondes, stabilisent le talus et filtrent les sédiments. Planté à intervalles réguliers, le vétiver réduit jusqu’à 70 % la vitesse d’écoulement des eaux.
Le Programme alimentaire mondial a déjà testé ces haies anti-érosives sur les pentes de Madibou avec des résultats encourageants. Les écoliers d’Itsali pourraient participer à la mise en place des plants, intégrant ainsi la gestion des risques dans leur apprentissage.
Mobilisation des savoirs locaux
Dans les villages du Pool, les anciens creusent depuis longtemps de petites rigoles perpendiculaires à la pente pour canaliser l’eau. Ce savoir-faire pourrait être diffusé en zone urbaine grâce aux comités de veille créés par la mairie de Mfilou.
Un numéro vert, le 1488, collecte déjà les alertes sur les mouvements de terrain. En signalant une fissure précoce, les habitants peuvent déclencher une intervention rapide avant l’effondrement. Les équipes de la protection civile assurent une permanence 24 h sur 24.
Vers une résilience urbaine durable
Brazzaville compte plus de 240 sites érosifs recensés par télédétection, soit 1 200 hectares de sols menacés. La cartographie réalisée avec l’Université Marien-Ngouabi est désormais accessible en ligne pour guider les investissements publics et privés.
Pour le géographe Armand Mayissa, la restauration du bassin versant de la rivière Mfilou doit devenir un projet-pilote. «Si nous réussissons ici, la méthode pourra être répliquée à Djiri ou Kombo-Matadi», avance-t-il, soulignant l’importance d’un financement pérenne.
À Itsali, l’urgence reste la sécurité des enfants. En attendant les travaux, des bénévoles ont creusé un fossé temporaire pour dévier l’eau loin des salles de classe. Chaque averse teste cet ouvrage artisanal, rappelant la nécessité d’un effort collectif constant.
Les parents espèrent que la rentrée prochaine verra les murs renforcés et une ceinture verte tout autour de la cour. Leur souhait rejoint la politique nationale visant à rendre chaque école plus sûre face aux aléas climatiques, sans interrompre l’accès à l’instruction.
De Sadelmi à Djiri, les scientifiques rappellent que l’érosion n’est pas une fatalité. En investissant dans la prévention, la végétation et la participation citoyenne, Brazzaville peut transformer ses ravins en corridors verts et offrir aux élèves d’Itsali un horizon plus stable.
