Enjeux vitaux du complexe Djiri
A Djiri, dans le nord de Brazzaville, le bruissement des machines de captage se mêle désormais au fracas des pioches clandestines. Depuis plusieurs mois, La Congolaise des eaux (LCDE) constate la construction de maisons et clôtures sur son périmètre sanitaire, pourtant classé domaine public depuis 1982.
Le complexe de Djiri alimente à lui seul près de 70 % des 1,9 million d’habitants de la capitale en eau potable. Ses trois lignes de pompage puisent quotidiennement 150 000 mètres cubes dans le fleuve, avant un traitement multi-étapes et un dispatching vers vingt-quatre réservoirs urbains.
« Si ce site s’arrête, la moitié des robinets de Brazzaville se tariront en quelques heures », confie Guy Serge Ndinga Ossondjo, directeur des exploitations. L’ingénieur montre à la presse les points névralgiques : une conduite maîtresse longe désormais une allée de briques fraîchement maçonnée.
Pressions foncières grandissantes autour du périmètre
Ce chantier privé n’est pas isolé. Selon LCDE, plus de quarante parcelles ont été morcelées par d’anciens propriétaires, aidés de géomètres informels. En l’absence d’autorisation, des maisons poussent jusqu’au pied des réseaux de chloration, augmentant la turbidité du sol et le risque d’accidents chimiques.
Les autorités municipales rappellent pourtant que le décret n°166-82 fixe à 100 mètres le périmètre de protection autour de toute station de captage. « La mesure joue comme assurance-vie pour la population », souligne un cadre de la mairie de Djiri, évoquant les ravages possibles d’une contamination microbiologique.
Impacts sanitaires et environnementaux mesurés
Au laboratoire de l’usine, les techniciens notent déjà une hausse des matières en suspension aux prises d’eau. Les pics coïncident avec les mouvements de camions transportant du sable pour des remblais illégaux. À terme, l’envasement pourrait réduire la capacité de pompage et les pressions domestiques.
Le risque ne se limite pas à la turbidité. Des études antérieures ont montré que les forages sauvages favorisent les infiltrations d’hydrocarbures et de bactéries fécales. Brazzaville avait déjà connu en 2014 un épisode de gastro-entérite lié à une défaillance de chloration, rappelle l’hydrologue Evelyne Bateka.
Communautés concernées et pistes de médiation
Au village Ngamakosso, voisin du complexe, certains habitants comprennent l’inquiétude de LCDE mais plaident pour une concertation. « Nos familles ont été indemnisées, pourtant la ville s’étend et nous manquons de lots », explique Jean-Symphorien Kimbouala, porte-parole des anciens propriétaires. Il propose une réserve foncière alternative.
De son côté, la société civile suggère de superposer les cadastres historiques aux images satellites pour clarifier les titres. L’Observatoire congolais des droits à l’eau estime qu’une cartographie participative réduirait les litiges, tout en sensibilisant sur les zones rouges où toute construction est proscrite.
Solutions technologiques et juridiques en cours
LCDE, pour sa part, accélère la pose de bornes GPS matérialisant le périmètre. Un partenariat est en cours avec l’Université Marien-Ngouabi pour former des étudiants à la télédétection et au suivi communautaire de la qualité de l’eau. Les premiers relevés seront accessibles via une application mobile grand public.
Sur le plan juridique, le parquet de Brazzaville a ouvert plusieurs dossiers pour occupation illégale de domaine public. Des audiences en flagrance ont déjà condamné deux promoteurs à démolir leurs murs et restaurer la végétation. Toutefois, les formalités d’exécution se heurtent encore à la lenteur des notifications.
Pour éviter un bras de fer prolongé, le ministère de l’Énergie et de l’Hydraulique étudie un mécanisme d’achat amiable des parcelles litigieuses, financé par un fonds alimenté par les redevances d’eau industrielle. L’idée associerait entreprises consommatrices, bailleurs et collectivités, dans une logique de responsabilité partagée.
Vers une gouvernance eau-climat inclusive
La préservation de Djiri rejoint enfin les engagements climatiques nationaux. Réduire les pertes techniques et protéger la source limitent l’empreinte carbone liée au pompage supplémentaire. « Chaque mètre cube sauvé évite 0,4 kWh d’électricité et 300 g de CO2 », rappelle le consultant énergie-eau Michel Mabiala.
Pour intensifier la sensibilisation, LCDE envisage des journées portes ouvertes au complexe. Des scolaires pourraient suivre le trajet d’une goutte depuis la prise d’eau jusqu’au robinet, avant d’apposer des pancartes « Zone à protéger ». L’expérience, testée à Pointe-Noire, avait réduit les actes de vandalisme de 60 %.
Le cas Djiri illustre ainsi le défi majeur de l’urbanisation rapide face aux infrastructures stratégiques. Entre droit au logement et impératif sanitaire, l’équilibre passe par la concertation, le droit et l’innovation technologique. Protéger l’eau, c’est aussi protéger la croissance et la paix sociale de la capitale.
LCDE réaffirme qu’elle poursuivra le dialogue tout en garantissant la continuité du service public. Dès novembre, elle publiera en ligne un baromètre de la qualité de l’eau actualisé chaque semaine. Un moyen d’impliquer chaque citoyen dans la surveillance participative et de consolider la confiance autour du robinet.
À plus long terme, un projet de parc linéaire végétalisé, porté par la mairie, pourrait ceinturer l’usine et offrir un espace récréatif. Cette ceinture verte servirait aussi de filtre naturel et de barrière dissuasive contre toute nouvelle intrusion foncière.
									 
					