Un séminaire stratégique au Palais du Peuple
Le 17 juillet, les lambris du Palais du Peuple ont résonné non pas des joutes oratoires habituelles, mais d’un atelier à vocation pédagogique qui, deux jours durant, devait mobiliser l’ensemble des sénateurs issus du Parti congolais du travail et de leurs alliés. Sous l’impulsion de leur président de groupe, Théophile Adoua, ces élus ont entrepris de revisiter, à la lumière d’analyses comparées, les fondamentaux de la décentralisation, pierre angulaire d’un État moderne soucieux de rapprocher le décideur du citoyen.
En toile de fond, l’administration congolaise poursuit depuis près d’une décennie un mouvement graduel de délégation de compétences aux entités territoriales. L’atelier intervient donc comme un moment charnière : les sénateurs, détenteurs d’un pouvoir de contrôle et de sanction budgétaire, entendent disposer d’une grille de lecture actualisée pour accompagner, sans précipitation ni fracture, ce transfert d’attributions.
Des sources d’inspiration venues de la Seine
Invité d’honneur, le professeur Jean Giraldon, constitutionnaliste à la Sorbonne, a déroulé l’expérience française, souvent citée, parfois idéalisée, mais toujours instructive pour nombre de pays africains. D’une voix mesurée, il a rappelé que la décentralisation hexagonale ne s’était pas faite en un jour ; qu’elle était le résultat de compromis successifs entre le centre et la périphérie, soigneusement arbitrés par le Conseil constitutionnel. « La clé, a-t-il insisté, réside moins dans l’empilement de textes que dans la capacité institutionnelle à suivre et à évaluer les politiques publics locales. »
Les sénateurs ont scruté avec intérêt la notion de libre administration des collectivités, principe qui en France a permis d’alléger la tutelle préfectorale sans jamais menacer la cohésion républicaine. Pour nombre d’élus congolais, l’enjeu est de transposer cette philosophie tout en préservant l’indispensable solidarité nationale voulue par le président Denis Sassou Nguesso : une orientation qui suppose d’adapter les référentiels étrangers au terreau local, tant sur le plan juridique que sociologique.
Transferts de compétences : l’enjeu des moyens
Sur ce terrain, Charles Ngafouomo, haut-commissaire aux réformes électorales, a ouvert la boîte noire de la décentralisation congolaise. Son exposé a porté sur les difficultés pratiques rencontrées lors de la déconcentration des services — du cadastre à la petite enfance — vers des collectivités souvent dépourvues de ressources humaines et financières suffisantes. « Sans le corollaire budgétaire, le transfert de compétences reste un vœu pieux », a-t-il prévenu, ajoutant que la loi organique de 2022, si elle balise le processus, doit encore être assortie de décrets d’application précis.
Les parlementaires ont soulevé la question cruciale de la fiscalité locale : la viabilité d’un transfert passe par une définition claire des redevances, des quote-parts et des dotations de l’État. Plusieurs sénateurs, élus de zones forestières enclavées, ont évoqué la nécessité de mécanismes correctifs pour éviter qu’un modèle à deux vitesses ne s’installe entre départements urbains et ruraux. Le débat, nourri mais serein, a abouti à la proposition d’un suivi parlementaire plus étroit des chronogrammes ministériels.
Budgets publics et contrôle parlementaire renforcé
Au troisième temps de l’atelier, Théodore Boutsoki Kombo, spécialiste des finances publiques, a rappelé que la décentralisation n’est pas un méandre administratif mais un acte financier. Il a détaillé la trajectoire des budgets de l’État, depuis la lettre-plafond jusqu’au collectif budgétaire, soulignant que les sénateurs disposent, via la commission économique, d’un puissant levier pour faire respecter les équilibres macroéconomiques tout en assurant le financement des collectivités.
La perspective, a-t-il noté, est d’élaborer des lois de finances plus intelligibles, intégrant des indicateurs de performance territorialisés. Un consensus s’est dégagé pour créer, au sein du Sénat, une cellule technique chargée d’évaluer l’impact budgétaire des politiques de décentralisation. Cette innovation, saluée par la présidence de la Chambre haute, pourrait devenir un jalon supplémentaire dans la modernisation de la gouvernance publique.
Vers une gouvernance territoriale consolidée
Au terme des travaux, Théophile Adoua s’est félicité de la densité des échanges. « La République se renforce chaque fois que ses représentants se forment », a-t-il résumé, en invitant ses collègues à convertir les enseignements reçus en propositions législatives concrètes dès la prochaine session ordinaire. Plusieurs axes opérationnels ont été mentionnés, notamment la clarification des compétences entre communes et départements, la mutualisation des services techniques et l’appui soutenu à la formation des cadres locaux.
Cet atelier intervient dans un contexte où le Congo-Brazzaville entend accélérer la mise en œuvre de son Plan national de développement, lequel accorde une place prépondérante à la gouvernance de proximité. Les partenaires internationaux observent avec intérêt cette dynamique qui, sans renier la tradition unitaire de l’État, vise à répondre plus rapidement aux attentes sociales. La démarche, prudente mais résolue, illustre la volonté constante des autorités congolaises de conjuguer stabilité institutionnelle et innovation administrative : un équilibre recherché, gage d’un développement harmonieux des territoires.