Un nouveau coup d’arrêt au trafic d’ivoire
Dans la troisième ville du Congo, un nouveau dossier de trafic d’ivoire rappelle l’ampleur du défi posé par la criminalité faunique régionale. Deux jeunes hommes ont été saisis, quatre pointes d’ivoire en main, symbole tangible de deux éléphants arrachés aux forêts du Mayombe.
L’opération, menée le 4 octobre par la gendarmerie de Dolisie avec la Direction départementale de l’Économie forestière et le projet PALF, illustre la coopération multi-acteurs impulsée par les autorités pour muscler l’application de la loi sur la faune à l’échelle du territoire.
Itinéraire clandestin depuis la frontière gabonaise
Selon le procès-verbal, l’un des suspects aurait traversé la frontière gabonaise au niveau de Mabanda, point stratégique du corridor transfrontalier. Après un voyage discret par routes secondaires, l’ivoire est arrivé à Dolisie, plaque tournante commerciale où les négociants cherchent des acheteurs prêts à payer comptant.
Les enquêteurs, alertés par un informateur local, ont monté une livraison surveillée. À l’heure convenue, les quatre défenses ont été déballées devant des gendarmes en civil. L’arrestation s’est déroulée sans heurts, permettant la saisie immédiate des trophées et l’interpellation des deux individus âgés de 21 et 29 ans.
Chemin judiciaire et peines encourues
Ils ont reconnu les faits lors des premières auditions, écourtant la garde à vue. Le procureur près le Tribunal de grande instance de Dolisie doit désormais qualifier les infractions. Le code prévoit jusqu’à cinq ans de prison et cinq millions de francs CFA d’amende pour ce type de délit.
Depuis 2020, la chambre correctionnelle de Dolisie a déjà prononcé plusieurs peines dissuasives, parfois assorties de dommages et intérêts reversés au Trésor. Les défenseurs de la faune saluent cette jurisprudence récente, estimant qu’elle crée un précédent utile pour démanteler des réseaux transnationaux mieux structurés.
Éléphant de forêt : rôle écologique et risques
Un éléphant de forêt absorbe chaque jour des fruits qu’il dissémine sur plusieurs kilomètres, régénérant les clairières et stockant du carbone dans les jeunes pousses. Sa disparition bouleverse donc la dynamique écologique et économique des communautés qui dépendent des produits forestiers non ligneux.
D’après les inventaires du ministère de l’Économie forestière, le Congo aurait perdu près de 70 % de ses éléphants de forêt dans certaines zones au cours des quinze dernières années, sous l’effet combiné du braconnage et des perturbations d’habitat liées à l’extension des axes routiers.
Synergie nationale et partenariats techniques
Pour contenir cette hémorragie, Brazzaville a rejoint l’Initiative africaine pour l’éléphant de forêt et a intégré la lutte anti-blanchiment d’ivoire dans son Plan national d’action contre le trafic d’espèces sauvages. Le projet PALF, cogéré par l’ONG WCS et la tutelle, assure la partie technique et la formation.
Des ateliers de sensibilisation sont organisés chaque trimestre dans les lycées de Dolisie. Nadège Moutsila, présidente d’un club environnement, note que « les affiches illustrant les amendes parlent davantage aux élèves que les longs discours ». Les réseaux sociaux relayent ces messages pour toucher les jeunes urbains connectés.
Renseignement communautaire et innovation
Sur le terrain, l’accent est mis sur la remontée de renseignement communautaire. Le lieutenant Daranza, en poste à Louvakou, explique que son unité reçoit désormais des appels anonymes via un numéro vert. « Les habitants craignent pour leur sécurité, mais comprennent que l’éléphant vivant est plus rentable ».
Parallèlement, les services vétérinaires testent un dispositif de marquage génétique des défenses afin de retracer la provenance de chaque saisie. Ce traçage, soutenu financièrement par le Fonds pour l’environnement mondial, devrait renforcer les poursuites en établissant la zone exacte du braconnage.
Du coût de la protection à l’opportunité économique
Le gouvernement souhaite transformer le coût de la protection en opportunité économique. Des projets pilotes d’écotourisme dans le massif du Mayombe proposent déjà des circuits d’observation, créant des emplois saisonniers. Les guides formés perçoivent une redevance fixe et reversent une part au village hôte.
Dans un contexte où le marché légal du carbone forestier se structure, la préservation de la mégafaune est aussi vue comme un co-bénéfice. La présence d’éléphants augmente la valeur de référence des stocks de carbone, argument que les parties prenantes utilisent pour négocier de meilleurs prix de crédits.
Relier les affaires pour démanteler les réseaux
Cette arrestation intervient six semaines après la saisie de peaux de panthère et d’écailles de pangolin à Impfondo. Le parquet y avait retenu les mêmes chefs d’accusation. En reliant ces dossiers, les enquêteurs espèrent identifier les routes commerciales convergeant vers les ports de haute mer.
Au Gabon voisin, la douane vient d’expérimenter des scanners portables capables de détecter l’ivoire sous plastique. Brazzaville étudie l’option pour renforcer les contrôles à la frontière de Mabanda. Cette synergie sous-régionale pourrait fermer la brèche empruntée par de nombreux passeurs transfrontaliers.
De l’ivoire saisi à la valeur pédagogique
En attendant, les quatre pointes d’ivoire reposent dans la chambre forte de la Direction départementale. Elles seront versées comme pièces à conviction, puis confiées au musée national où elles serviront d’outil pédagogique. Un symbole que le Congo préfère des défenses étiquetées à des forêts silencieuses.
Les prochains mois seront décisifs pour savoir si les deux prévenus écoperont de la peine maximale. Au-delà des sanctions, le défi reste d’assécher la demande d’ivoire. Les autorités misent sur l’éducation, la coopération régionale et la technologie pour que l’éléphant redevienne un atout durable.
