Contexte climatique et alimentaire
Sur les berges du fleuve Congo, les saisons ne se ressemblent plus. Pluies capricieuses, soudaines sécheresses et nouveaux ravageurs perturbent les calendriers culturaux et fragilisent les réserves alimentaires. Dans les villages, les anciens ajustent encore leurs semences, mais la marge d’erreur se réduit à vue d’œil.
Pour répondre à cette urgence silencieuse, le Programme alimentaire mondial a commandité avec le ministère de l’Environnement une étude exhaustive sur 124 villages de la Bouenza, la Likouala et la Sangha. Objectif: cartographier risques, pratiques agricoles et marges d’adaptation afin d’orienter les financements internationaux.
Méthodologie participative et cartographie des risques
Menée par le Centre africain d’études et de recherche pour le développement, l’enquête s’est appuyée sur des images satellitaires, des relevés climatiques et plus de sept cents entretiens. À chaque étape, agriculteurs, chefs coutumiers et techniciens de district ont co-validé les données pour que la photographie reste fidèle.
Le diagnostic, financé par le Fonds d’adaptation, révèle des indices de vulnérabilité supérieurs à 0,6 dans 70 % des sites, seuil considéré critique par les climatologues. Les chercheurs ont aussi localisé 38 poches de sols ferrugineux où le stress hydrique double la mortalité des semis de manioc.
Trois départements, trois réalités climatiques
En Likouala, l’onde du fleuve Oubangui régule toujours la pêche, mais les cultures subissent une variabilité hydrique pouvant atteindre 35 % d’une saison à l’autre. Selon l’étude, chaque foyer perd en moyenne 120 kg de maïs par an, faute de prévision fiable des crues.
Plus au nord, la Sangha dispose d’un couvert forestier qui tempère la chaleur et offre du cacao d’ombre recherché. L’isolement du réseau routier limite toutefois l’évacuation des surplus. Une pluie tardive suffit à bloquer les camions, obligeant parfois les planteurs à vendre à perte sur place.
Dans la Bouenza, axe agricole historique du pays, les marchés de Nkayi et Madingou attirent commerçants et transformateurs. Ce débouché, conjugué à des plateaux fertiles, confère un potentiel de résilience élevé. Les ménages y pratiquent la rotation arachide-maïs, limitant l’érosion et diversifiant les revenus féminins.
Savoirs endogènes, première ligne d’adaptation
A Bétou, des femmes semencières conservent des lignées de soja tolérantes aux engorgements. La technicienne agricole Rosalie Loussa rappelle que ces graines, sélectionnées « sous les pieds mouillés », lèvent même après dix jours d’inondation, alors que les variétés importées coulent en trois.
À Ouesso, des maîtres de la fumure traditionnelle mélangent feuilles de marantacées, cendres et phosphates de termitière pour régénérer des abattis usés. L’analyse de laboratoire commandée par le projet montre un gain de 28 % de matière organique, réduisant d’autant les besoins onéreux en engrais chimiques.
Dans la Bouenza, la tablette du jeune agripreneur Josué Moussavou affiche en temps réel la pluviométrie d’Owando. Mais, confie-t-il, « je décide toujours du repiquage après avoir consulté la lune avec mon oncle ». L’hybridation entre météo numérique et calendrier lunaire sécurise sa plantation de bananes.
Investissements et formations prioritaires
L’étude recommande d’installer seize plateformes de stockage surélevé, capitales pour réduire de moitié les pertes post-récolte évaluées à 9 000 tonnes par an en Likouala. Les ingénieurs proposent des greniers en bambou local, dotés de toits métalliques légers financés par le Fonds d’adaptation et cogérés par les coopératives.
La mise à niveau de cinq pistes rurales clés dans la Sangha figure aussi parmi les urgences. « Un kilomètre réhabilité augmente nos ventes de 7 % », affirme le maraîcher Marcel Abala lors de l’atelier de Brazzaville. Les plans de drainage seront confectionnés avec les services départementaux.
À Nkayi, une école-champ pilote testera dès la prochaine petite saison des cuiseurs améliorés alimentés par les résidus de canne. Selon la directrice générale du Développement durable, Olga Rosine Ossombi, cette initiative pourrait diviser par trois l’usage de bois-énergie et alléger la charge des femmes.
Communautés résilientes, vision 2030
Les scénarios élaborés par le modèle Clima-Congo prévoient un réchauffement moyen de 1,5 °C à l’horizon 2030. Dans la Bouenza, cela exigerait de déplacer les cultures de niébé vers les bas-fonds, tandis que la Likouala devra renforcer ses digues communautaires le long des plaines alluviales.
Pour anticiper, le ministère de l’Environnement élabore un guide pratique d’adaptation destiné aux communes rurales. Les fiches, rédigées en français et en lingala, décrivent calendrier cultural ajusté, variétés conseillées et contacts d’agronomes de proximité. Une version audio sera diffusée sur les radios communautaires afin d’inclure tous.
Dans la salle, Estelle Nikiema du PAM conclut: « Les communautés détiennent déjà la moitié de la solution; notre rôle est d’apporter l’autre moitié, technique et financière ». Si les financements suivent, 50 000 villageois pourraient, dès trois ans, passer d’une agriculture de survie à une agriculture d’opportunités.