Un impératif étatique à l’ère de l’interconnexion
Rarement un chantier administratif aura cristallisé autant d’enjeux à la fois techniques, politiques et sociétaux. En donnant, le 16 juillet à Brazzaville, le coup d’envoi de l’atelier national « Vers une identité numérique inclusive et sécurisée », le préfet Bonsang Oko-Letchaud, directeur général de l’Administration du territoire, a replacé la question au cœur de l’État de droit congolais. À ses yeux, « l’identité numérique est une urgence d’État, un impératif de justice, un chantier stratégique ». L’ambition répond à une réalité arithmétique : une frange non négligeable de la population ne détient aucun document d’identité valide, une absence qui marginalise l’accès aux droits sociaux et obère la formation d’un registre citoyen exhaustif.
Capacités policières et justice procédurale renforcées
Ouvrant les travaux, les organisateurs ont souligné la dimension opérationnelle du programme. L’introduction de la Thales Evidence & Investigation Suite doit doter la police technique et scientifique d’outils biométriques de pointe, capables d’optimiser le recueil de preuves et la consolidation de dossiers juridiquement solides. Dans un contexte sous-régional marqué par la porosité des frontières et la mobilité accrue, l’établissement de profils numériques fiables devient, de fait, un rempart contre la criminalité transfrontalière et un facteur de célérité dans la chaîne pénale.
Une ambition présidentielle, levier de modernisation
Le préfet a rappelé que la transformation digitale constitue « une ambition présidentielle, un engagement gouvernemental ». L’année 2024, placée sous le sceau de la jeunesse, trouve dans cette initiative un prolongement concret de la vision portée par le chef de l’État, Denis Sassou Nguesso. En rapprochant administration électronique et inclusion sociale, le pouvoir exécutif entend conférer à chaque jeune un identifiant unique, véritable passeport vers les services publics, la formation et l’entrepreneuriat numérique.
Banque mondiale : un partenaire pour l’inclusion numérique
Fort du Projet d’accélération de la transformation numérique, financé par la Banque mondiale, le ministère de l’Intérieur et de la Décentralisation pilote l’élargissement de l’accès au haut débit dans les zones mal desservies et la conception d’une plateforme d’identité numérique interopérable. L’objectif est double. D’une part, réduire la fracture territoriale en connectant écoles, centres de santé et bureaux d’état civil. D’autre part, sécuriser le stockage des données personnelles dans des infrastructures souveraines, tout en respectant les standards internationaux de protection de la vie privée.
Architecture biométrique et souveraineté informationnelle
Dans sa communication, Bonsang Oko-Letchaud a insisté sur la nécessité de « jalons techniques, juridiques et éthiques » solides. L’atelier examine la gouvernance des bases biométriques, le cadre législatif sur la protection des données et la certification des opérateurs privés appelés à collaborer. Le choix d’une architecture ouverte mais souveraine doit garantir l’interopérabilité avec les systèmes douaniers, sanitaires et éducatifs, tout en maintenant un contrôle national sur les algorithmes d’authentification.
Sécurité régionale : une réponse aux menaces transfrontalières
Les intervenants ont rappelé que l’Afrique centrale subit une intensification des flux migratoires et des trafics illicites. Pour le Congo-Brazzaville, disposer d’un registre numérique unifié relève donc d’un impératif de sécurité collective. La future carte d’identité biométrique facilitera les contrôles frontaliers, la délivrance de visas et la coopération policière avec les pays voisins, tout en répondant aux exigences des organisations régionales en matière de traçabilité des personnes.
Inclusion sociale : le visage humain du projet
Au-delà de la dimension sécuritaire, l’identité numérique se présente comme « un instrument de justice sociale ». L’accès dématérialisé aux prestations de santé, aux bourses universitaires ou encore aux programmes de micro-crédit devient envisageable pour les citoyens des zones rurales, longtemps pénalisés par l’éloignement des guichets physiques. En forçant le trait, l’on pourrait dire que le smartphone devient l’administration de poche, et l’algorithme, le nouvel agent d’état civil.
Éthique et confiance publique, conditions de la réussite
Reste la question de la confiance. Les autorités entendent inscrire la collecte et le traitement des données dans un cadre éthique transparent, assorti de mécanismes de contrôle parlementaire et citoyen. Une campagne de sensibilisation est annoncée afin de lever les craintes relatives à la surveillance et de rappeler que « nul ne doit être laissé au seuil de la République numérique ». L’enjeu est de faire converger efficacité administrative et respect des libertés individuelles, condition sine qua non pour qu’émerge une citoyenneté 2.0 pleinement assumée.
Vers un calendrier opérationnel maîtrisé
À l’issue des trois jours de travaux, un chronogramme d’actions prioritaires doit être soumis au gouvernement. Il couvrira la finalisation du registre d’état civil, la phase pilote d’enrôlement biométrique et la formation des agents territoriaux. « Nous avons l’opportunité de poser les fondations d’une identité numérique unifiée, inclusive et surtout souveraine », a conclu Bonsang Oko-Letchaud, invitant les parties prenantes à faire de l’atelier une référence méthodologique pour l’ensemble de la sous-région.