Congo-Brazzaville, épicentre de l’action climatique en Afrique centrale
Longtemps décrit à travers le prisme de sa rente pétrolière, le Congo-Brazzaville s’affirme aujourd’hui comme un pivot écologique du continent. Ses 342 000 kilomètres carrés abritent près de 23 millions d’hectares de forêts denses, soit plus de 60 % du territoire, faisant du pays l’un des trois gardiens majeurs du second massif tropical de la planète après l’Amazonie. Cette position géographique singulière, à cheval sur l’équateur et ouverte sur l’Atlantique, expose simultanément le territoire aux aléas de la variabilité climatique et lui confère une responsabilité déterminante dans la régulation carbone mondiale.
Un patrimoine forestier d’importance planétaire
Des plaines côtières aux plateaux centraux, les écosystèmes congolais hébergent une mosaïque de services écologiques. Les inventaires biologiques menés dans le complexe tri-national de la Sangha ont révélé quelque 125 000 gorilles des plaines occidentales et une avifaune endémique d’une remarquable densité (WCS, 2023). Chaque hectare de ces forêts capte en moyenne 30 tonnes de carbone, contribuant à amortir près de 1,5 milliard de tonnes d’équivalent CO₂ au niveau régional. Préserver ces puits naturels s’avère donc crucial, d’autant que la déforestation nationale demeure contenue : autour de 0,07 % par an, un taux inférieur à la moyenne d’Afrique subsaharienne selon le Global Forest Watch.
Le Pacte national pour le climat et la croissance verte
Conscient des attentes internationales, le gouvernement a adopté en 2021 le Plan national Climat-Carbone pour une croissance verte 2021-2030, plus communément appelé PNCC. Ce cadre stratégique actualise la Contribution déterminée au niveau national et vise une réduction de 32 % des émissions par rapport au scénario tendanciel à l’horizon 2030, grâce à la gestion durable des forêts, au développement de l’hydroélectricité et à l’introduction progressive de bio-combustibles. « La valorisation du capital naturel ne peut être dissociée de la souveraineté économique », souligne Arlette Soudan-Nonault, ministre en charge de l’Environnement, insistant sur la nécessité de conjuguer protection et industrialisation raisonnée.
Au-delà des textes, plusieurs programmes pilotes structurent la mise en œuvre : révision du code forestier pour renforcer la certification FSC, institution du Fonds bleu pour le Bassin du Congo, ou encore expérimentation d’un marché national du carbone afin de capter de nouveaux financements climat. Ces initiatives, soutenues par la Banque africaine de développement et l’Agence française de développement, positionnent Brazzaville sur l’échiquier des solutions climatiques innovantes.
Financement et diplomatie pétrolière : concilier or noir et or vert
Si l’or noir représente encore plus de deux tiers du PIB et 85 % des recettes publiques, les autorités ont engagé une diversification énergétique graduelle. Le barrage de Liouesso, mis en service en 2017, alimente déjà la zone septentrionale en électricité renouvelable. D’autres projets, tels que le complexe hydroélectrique de Sounda et les études sur le potentiel solaire dans la cuvette de Niari, traduisent la volonté de réduire la dépendance aux hydrocarbures.
Sur le plan diplomatique, l’adhésion du pays à l’OPEP depuis 2018 n’a pas freiné la rhétorique verte du Président Denis Sassou Nguesso : lors de la COP26 à Glasgow, il rappelait que « les flux financiers issus du pétrole doivent servir la transition énergétique africaine ». Cette position, saluée par l’Union africaine, offre une voie médiane : utiliser les revenus pétroliers pour financer l’économie bas-carbone tout en garantissant la stabilité macroéconomique.
Communautés locales et savoirs traditionnels au service de la résilience
Les populations riveraines, notamment les communautés bantoues et les peuples autochtones Baaka, sont historiquement les gardiennes des territoires forestiers. Dans la Lékoumou, des coopératives d’agroforesterie cacao-bananier associent rotation des cultures et reboisement, générant des revenus complémentaires et limitant la pression sur le couvert végétal. La loi de 2011 sur les droits des peuples autochtones, renforcée en 2022 par un décret d’application, consacre désormais leur participation systématique aux décisions affectant leurs terres.
Cette approche inclusive se manifeste également dans la gestion des aires protégées. À Nouabalé-Ndoki, des comités villageois participent aux patrouilles anti-braconnage et co-construisent des zones de collecte de produits forestiers non ligneux. L’outil de cartographie participative, soutenu par le Programme des Nations unies pour l’environnement, favorise la transparence et prévient les conflits d’usage.
Perspectives régionales et coopération internationale
Le Congo-Brazzaville inscrit sa trajectoire verte dans une dynamique régionale. En septembre 2023, Brazzaville a accueilli la troisième édition de la Conférence internationale des ministres de l’Environnement du Bassin du Congo, conclue par l’adoption de la Déclaration dite « Feuille de route verte ». Celle-ci prévoit l’harmonisation des règles de comptabilité carbone et l’interconnexion des marchés électriques afin de sécuriser les investissements dans les énergies propres.
Parallèlement, le Partenariat pour la conservation des forêts du Bassin du Congo, auquel participent l’Allemagne, la Norvège et la République populaire de Chine, s’est engagé à mobiliser 1 milliard d’euros d’ici 2026 pour soutenir la gestion durable des paysages forestiers congolais. Ces engagements multilatéraux traduisent une reconnaissance croissante du rôle central du pays dans la stabilité climatique planétaire.
Vers une économie bas-carbone, horizon 2050
Au terme de cette analyse, une constante se dégage : la transition écologique congolaise est indissociable d’une vision de long terme qui articule souveraineté énergétique, diplomatie verte et inclusion sociale. Les défis restent substantiels — infrastructures limitées, volatilité des cours pétroliers, impératifs de développement humain — mais les bases institutionnelles posées ces dernières années confèrent au pays une crédibilité nouvelle dans les négociations internationales.
La réussite du Congo-Brazzaville dépendra de la capacité à capter des financements innovants tout en renforçant la gouvernance environnementale. Dans un espace géopolitique souvent polarisé, le pays peut se prévaloir d’un atout majeur : une réserve forestière intacte et une détermination politique affirmée à la valoriser comme levier de modernisation. À l’horizon 2050, ce pari sur l’économie bas-carbone pourrait bien consacrer Brazzaville comme l’un des architectes africains de la neutralité climatique.