Un diagnostic inédit sur trois départements
Réunies à Brazzaville autour du ministère de l’Environnement et du Programme alimentaire mondial, une trentaine d’experts, producteurs et représentants communautaires ont découvert, le 18 septembre, les résultats d’une enquête de terrain inédite sur la vulnérabilité climatique de trois départements agricoles stratégiques.
Commandité par l’État et financé par le Pam, le travail a été conduit par le Centre africain d’études et de recherche pour le développement, dont les chercheurs ont sillonné Likouala, Sangha et Bouenza pour interroger plus de 600 ménages, cartographier les parcelles et analyser l’historique pluviométrique.
Le diagnostic s’inscrit dans la stratégie nationale d’adaptation au changement climatique, validée en 2022, qui privilégie la sécurité alimentaire, la protection de la biodiversité et le renforcement des capacités locales comme piliers de la croissance inclusive prônée par les autorités.
Des risques climatiques contrastés
En Likouala, les relevés satellites confirment une succession d’inondations et de sécheresses marquées, provoquant des pertes de récolte atteignant parfois 60 % selon les enquêtes agricoles; un défi majeur pour des villages enclavés dont la majorité dépend du manioc et de la pêche artisanale.
La Sangha, bordée par un couvert forestier encore dense, dispose d’un potentiel agroforesterie impressionnant, mais son isolement routier rend coûteux l’acheminement des intrants et la mise en marché des surplus vivriers, freinant les revenus des producteurs en période de prix favorables.
À l’opposé, la Bouenza profite d’un réseau de pistes et d’achats groupés qui atténuent la volatilité des prix; la diversité des cultures, du soja au maïs, y constitue un amortisseur naturel contre les chocs climatiques, même si les sécheresses tardives restent une menace.
La force tranquille des savoirs endogènes
Pour chaque territoire, les enquêteurs ont recensé des dizaines de pratiques qui, transmises de génération en génération, aident déjà les familles à faire face à la variabilité des saisons : semis échelonnés, sélection de variétés rustiques, bananeraies en sous-bois, engrais organiques à base de cendres.
« Ces savoirs endogènes constituent un patrimoine immatériel qu’il faut documenter avant qu’il ne se perde », insiste Olga Rosine Ossombi Mayela, directrice générale du développement durable, rappelant que l’harmonisation entre science et tradition figure parmi les ambitions du Plan national climat.
Le rapport recommande de soutenir les comités villageois dans la transmission intergénérationnelle, par des radios communautaires, des fermes écoles et des applications mobiles en langue locale, afin que les adolescents, souvent attirés par les centres urbains, perçoivent la valeur économique de ce capital de connaissances.
Des communautés force de proposition
L’atelier de Brazzaville n’a pas été qu’une restitution scientifique, il a donné la parole aux agricultrices, pêcheurs et chefs traditionnels, invités à réagir en direct aux cartes de risque et à proposer leurs propres indicateurs de vulnérabilité, tels que l’assèchement des mares ou la migration précoce des chenilles.
« Nous voulons des semences qui germent même si la pluie tarde, mais aussi des informations fiables par téléphone », a résumé Adèle Ngamayou, productrice de maïs à Ouesso, applaudie par les partenaires techniques qui promettent d’intégrer ces demandes à la prochaine phase du projet.
Les discussions ont mis en évidence l’importance d’un accompagnement de proximité, rôle déjà tenu par les antennes départementales de l’agriculture, dont les agents parcourent les pistes à moto pour diffuser des alertes météo et conseiller sur l’espacement des plates-bandes en cas de crue annoncée.
Priorités d’action et financement vert
Au terme de la journée, six pistes d’action ont été jugées prioritaires : irrigation solaire pour les bas-fonds, banques de semences paysannes, reboisement des berges, micro-assurance climatique, séchage amélioré du manioc et marchés hebdomadaires sécurisés.
Pour Estelle Mikiema, chargée de programme climat au Pam, la convergence de ces priorités prouve que « les solutions locales sont déjà identifiées », mais qu’elles nécessitent un accompagnement financier, notamment via les crédits carbone volontaires et le futur Fonds national pour la résilience communautaire.
Le ministère de l’Environnement étudie par ailleurs la possibilité de mettre en place un guichet unique pour les organisations paysannes, afin de simplifier l’accès aux subventions climatiques émanant de partenaires tels que la Banque mondiale, la BAD ou l’Initiative pour les forêts d’Afrique centrale.
Cap sur la résilience agricole durable
En combinant données satellitaires, savoirs ancestraux et innovations de la jeunesse rurale, les organisateurs veulent montrer qu’il est possible de transformer la contrainte climatique en opportunité économique durable, tout en contribuant aux objectifs nationaux de réduction des émissions et de préservation des écosystèmes.
La prochaine étape consistera à déployer des parcelles pilotes dans chaque département, avec un suivi participatif des rendements via une application open source, afin de quantifier précisément les gains de résilience et d’attirer de nouveaux partenaires techniques et financiers.
Si les financements se confirment, les ménages impliqués pourraient accroître de 30 % leurs revenus agricoles à horizon cinq ans, conclut le rapport, rappelant que l’autonomisation économique est la meilleure assurance contre les chocs climatiques tout en soutenant l’ambition de développement durable du Congo et la prospérité locale.
