Patrimoine culturel et capital naturel du Congo
Brazzaville s’apprête à dérouler ses couleurs le 27 septembre, Journée mondiale du tourisme. L’agence Wild Safari Tours et l’Office de la promotion de l’industrie touristique y lancent un Carnaval touristique visant à présenter le Congo comme une destination où culture et biodiversité se rejoignent.
Dans un pays couvrant plus de 22 millions d’hectares de forêts tropicales, la valorisation du patrimoine immatériel apparaît comme un complément naturel à la conservation des écosystèmes. Les organisateurs entendent transformer l’événement festif en laboratoire grandeur nature du tourisme durable.
« Nous souhaitons que chaque pas des danseurs rappelle l’importance de préserver les sols qui nous portent », explique Francel Emerancy Ibalank, président de Wild Safari Tours. Cette rhétorique place d’emblée la manifestation au carrefour de la culture, de l’économie et des engagements climatiques.
Un carnaval touristique sous le signe de la durabilité
Selon l’Organisation mondiale du tourisme, 2023 marque la reprise progressive des flux internationaux vers l’Afrique centrale. En capitalisant sur cette dynamique, Brazzaville cherche à offrir un récit différenciant : célébrer la culture bantoue tout en prouvant que l’accueil de visiteurs peut rester sobre en carbone.
Le programme officiel inclut un défilé fluvial sur le Congo, des ateliers d’artisanat en matériaux recyclés et une foire gastronomique privilégiant les circuits courts. Chacune de ces composantes a été pensée pour illustrer les principes du « voyage à empreinte réduite », concept promu par l’Opit.
Des brigades vertes formées par des ONG locales assureront la collecte sélective des déchets durant la fête. Les autorités municipales prévoient également un comptage ex-ante et ex-post des émissions, exercice déjà réalisé lors du Forum Investir en Afrique de 2022, salué par la Banque africaine de développement.
Opportunités économiques et écologiques pour Brazzaville
Le secteur touristique congolais représente aujourd’hui moins de 3 % du PIB, loin derrière les hydrocarbures. Toutefois, le ministère du Tourisme estime qu’une croissance annuelle modérée pourrait créer 20 000 emplois verts d’ici 2030, principalement dans l’hôtellerie écologique, la médiation culturelle et la restauration responsable.
Les analystes de l’Institut congolais de recherche économique voient dans le Carnaval un « instrument expérimental » capable de tester l’appétence des bailleurs internationaux pour des projets basés sur le capital naturel. Les premiers retours du Fonds vert pour le climat seraient encourageants, selon une note interne consultée par notre rédaction.
Sur le terrain, plusieurs maisons d’hôtes ont déjà opté pour des panneaux solaires et des systèmes de filtration d’eau par bio-charbon. « L’événement a stimulé les réservations et justifié nos investissements », confie la gérante d’une pension de Bacongo, convaincue que la clientèle post-pandémie privilégie désormais la responsabilité environnementale.
Défis logistiques et environnementaux maîtrisés
La tenue d’un défilé massivement populaire pose cependant la question de l’empreinte transport. Brazzaville demeure dépendante des minibus diesels et du taxi collectif. Pour limiter le trafic, la mairie a annoncé la gratuité des navettes électriques, mises à disposition grâce à un partenariat sino-congolais conclu en mai dernier.
Autre enjeu, la qualité de l’eau du fleuve Congo qui accueillera des pirogues décorées. L’Institut national de recherche halieutique assure que des prélèvements seront effectués en amont et après la manifestation pour détecter d’éventuels pics de pollution, un protocole déjà appliqué lors du Fespam 2023.
Le dispositif sécuritaire inclut enfin un plan d’évacuation climatique. En cas de fortes pluies, fréquentes en septembre, des abris temporaires seront installés dans les écoles voisines. Cette précaution reflète l’intégration grandissante de l’adaptation au changement climatique dans l’organisation des grands événements congolais.
Vers une stratégie nationale de tourisme responsable
Le Carnaval de Brazzaville s’inscrit dans la feuille de route Turisme 2025 dévoilée par le gouvernement. Ce document préconise la création de cinq corridors écotouristiques, la certification environnementale des agences de voyage et l’introduction d’un visa électronique pour rationaliser la gestion des flux.
À moyen terme, l’Opit envisage de dupliquer le modèle du Carnaval dans les villes forestières comme Ouesso et Impfondo, afin d’associer plus étroitement les communautés riveraines aux bénéfices touristiques. Cette décentralisation répond aux recommandations de l’Union africaine sur le partage équitable des revenus liés au patrimoine.
Pour le sociologue Sylvain Loussala, spécialiste des mobilités culturelles, « l’enjeu est d’éviter l’effet vitrine : il faut des indicateurs post-événement pour mesurer l’accès réel des habitants aux retombées ». Une task-force interministérielle planche déjà sur un tableau de bord axé sur l’inclusion.
Au-delà de la fête, l’événement est perçu comme une phase-test pour la diplomatie climatique du Congo. Plusieurs ambassades, dont celles de France et du Rwanda, ont confirmé l’envoi d’observateurs afin de s’inspirer d’un modèle valorisant la culture tout en respectant les engagements de l’Accord de Paris.
Les chiffres finaux de fréquentation seront scrutés avec attention, mais l’ambition est déjà claire : inscrire durablement le Congo sur la carte mondiale d’un tourisme à faible impact, ancré dans ses racines culturelles et respectueux des générations futures.