Une interpellation au carrefour du droit et de la sécurité
Mercredi 9 juillet 2025, vers 19 h 30, l’avocat Bob Kaben Massouka est conduit dans les locaux de la Centrale d’intelligence et de documentation, selon plusieurs témoignages. Conscient des impératifs de sécurité qui incombent aux services spécialisés, le barreau rappelle cependant que la loi prévoit la présence du bâtonnier ou du procureur général lors de toute arrestation visant un auxiliaire de justice. Cette exigence, conçue pour préserver l’équilibre entre enquête et défense, constitue la pierre angulaire de la confiance entre institutions.
Les autorités judiciaires se refusent pour l’heure à commenter les motifs exacts de la mesure privative de liberté. En arrière-plan, circule l’hypothèse d’un soutien présumé de l’avocat à une manifestation annoncée par de jeunes riverains le lendemain. Sans préjuger de la véracité de ce scénario, plusieurs juristes rappellent qu’une éventuelle infraction, fût-elle liée à l’ordre public, ne saurait suspendre le socle procédural prévu par la législation congolaise.
Le barreau mobilisé, la justice en suspens
Au Palais de justice, l’assemblée générale présidée par le bâtonnier Brigitte Nzingoula, en présence du président de l’Ordre national des avocats, Christian Éric Locko, a abouti à la suspension collective des audiences. Le mouvement, initialement brazzavillois, a été relayé dès le 11 juillet par le barreau de Pointe-Noire, matérialisant l’unité d’une profession traditionnellement vigilante quant au respect de ses prérogatives.
Cette paralysie, inédite par son ampleur récente, entraîne le report d’affaires civiles, commerciales et pénales, avec des répercussions palpables pour les justiciables comme pour l’image de l’institution judiciaire. Les robes noires insistent néanmoins sur le caractère révocable de la grève, conditionnée à la libération de leur confrère ou, à tout le moins, à une clarification publique de son statut juridique.
L’exécutif entre impératif d’ordre public et dialogue
Interrogées discrètement, des sources proches du ministère de la Justice affirment que « les vérifications d’usage suivent leur cours » tout en soulignant « l’engagement constant des autorités à garantir les droits de la défense ». Ce langage mesuré s’inscrit dans une tradition diplomatique visant à concilier la salubrité sécuritaire et la préservation de l’État de droit. Plusieurs observateurs jugent probable une communication prochaine, d’autant que la présidence congolaise a multiplié ces dernières années les initiatives de modernisation de la gouvernance judiciaire.
Pour l’heure, le gouvernement privilégie la réserve, conscient des sensibilités que suscite toute affaire touchant à la liberté individuelle. Une source administrative rappelle que « la loi fondamentale, comme les instruments internationaux ratifiés par le Congo, offrent un cadre clair », martelant que « l’autorité judiciaire seule décidera des suites appropriées ».
Droits fondamentaux : une vigilance partagée
La Plateforme pour la défense des droits humains et la démocratie, dirigée par Joe Washington Ebina, s’est associée à l’appel du barreau, plaidant pour une issue négociée. L’organisation insiste sur la nécessité d’une adaptation continue des pratiques de renseignement aux standards internationaux, sans remettre en cause la légitimité d’une action préventive face aux risques contemporains.
Cette position illustre l’évolution, au sein de la société civile congolaise, d’une culture juridique qui ne se limite plus à dénoncer mais propose des pistes de réforme pragmatiques : formation accrue des officiers de police judiciaire, protocoles de notification transparents, accès plus rapide à l’avocat dès la première heure de garde à vue. Autant de suggestions reçues avec intérêt par certains parlementaires, qui y voient un tremplin pour le projet de loi de consolidation des garanties judiciaires annoncé devant la représentation nationale.
Vers une issue concertée au service de l’institution
Au-delà de l’émotion légitime suscitée par la privation de liberté d’un avocat d’expérience, c’est la robustesse du dialogue institutionnel qui se joue. Les précédents récents – notamment la mise en place d’un guichet électronique de suivi des dossiers ou la tenue des États généraux de la justice – démontrent que les autorités congolaises savent privilégier la voie de la concertation.
Des voix pondérées, chez les magistrats comme chez les avocats, suggèrent la création d’un comité ad hoc réunissant chancellerie, barreau et représentants de la sûreté afin de clarifier les modalités d’interpellation des auxiliaires de justice. Une telle instance, à la fois technique et confidentielle, permettrait de désamorcer les tensions tout en renforçant la prévisibilité juridique, gage de confiance pour les investisseurs et partenaires internationaux.
Quelles que soient les suites données au dossier Bob Kaben Massouka, la séquence actuelle rappelle que la vitalité d’un État repose autant sur l’efficacité de ses forces de sécurité que sur la transparence de ses procédures. Dans l’attente d’un dénouement, les acteurs demeurent conscients que chaque geste, chaque mot, participe à la consolidation d’une architecture institutionnelle à laquelle le Congo-Brazzaville, sous l’égide du président Denis Sassou Nguesso, attache une importance stratégique.