Un chantier vital avant les pluies
À Brazzaville, les bourrasques de la saison des pluies transforment souvent les ruelles sablonneuses en torrents boueux. Anticipant ces épisodes, le ministère de l’Assainissement urbain a entamé, le 29 août, le curage des grands collecteurs, artères discrètes par où la ville respire.
Le premier tronçon visé, baptisé Zanga Dia Ba Ngombe, irrigue les arrondissements Makélékélé et Bacongo. Sur place, pelleteuses turques d’Albayrak et brigades manuelles de l’ONG Salubrité sans frontières travaillent côte à côte pour dégager pneus, bouteilles et limons accumulés.
Avec cette opération, le gouvernement affirme vouloir passer d’une logique curative à une logique préventive, réduisant les inondations qui pèsent sur les budgets municipaux et la quiétude des riverains. Le ministre Juste Désiré Mondelé, bottes aux pieds, assure que la tâche sera menée jusqu’au dernier égout.
Une pédagogie de la sanction
Désormais, les récalcitrants ne se verront plus seulement rappeler à l’ordre. Repérés en flagrant délit de dépôt sauvage, ils seront conduits au commissariat, où des sessions express d’hygiène publique leur seront administrées avant l’exécution de travaux d’intérêt général, raconte le ministre, voix posée.
Cette pédagogie de la sanction s’appuie sur les chefs de quartiers, premiers témoins des incivilités. L’objectif est de rompre le cercle vicieux où l’État cure, la population rebouche et la pluie déborde. Les contrevenants deviennent ainsi relais d’un message citoyen qu’ils avaient ignoré.
Les dispositions coercitives sont encadrées par le code congolais de l’environnement, qui prohibe déjà le déversement d’ordures dans les voies d’eau. Le dispositif choisi par Brazzaville renforce donc un arsenal juridique préexistant sans créer de nouvelle norme, détaille un magistrat sollicité.
Des partenaires mobilisés
L’implication de l’entreprise turque Albayrak, concessionnaire de la collecte des déchets dans la capitale, illustre l’option public-privé retenue par les autorités. Ses engins, financés sur fonds propres, secondent les équipes municipales sans peser sur le budget de fonctionnement, souligne un cadre technique.
L’ONG Salubrité sans frontières, quant à elle, mise sur la proximité. Ses volontaires sillonnent les quartiers pour cartographier les points noirs et sensibiliser porte à porte. « L’État peut construire, mais nous, habitants, devons entretenir », résume son président, Stève Francis Angouelet.
Au-delà de ces acteurs phares, le Programme des Nations unies pour les établissements humains apporte un appui méthodologique, notamment pour mesurer l’impact hydrologique du curage sur la vulnérabilité urbaine. Les premiers relevés topographiques seront publiés après la saison des pluies en cours.
Enjeux sanitaires majeurs
Le choléra sévit actuellement dans plusieurs provinces voisines de la République démocratique du Congo. Sans dramatiser, les autorités sanitaires congolaises rappellent que des canalisations obstruées favorisent la stagnation d’eaux souillées, milieu propice aux vibrions cholériques et au moustique Anopheles, vecteur endémique du paludisme.
Chaque année, le district sanitaire centre enregistre des flambées de diarrhées aiguës durant les trois premières semaines de pluies, selon les statistiques du Centre national d’épidémiologie. L’opération de curage s’inscrit donc comme une composante de la stratégie nationale de prévention des maladies hydriques.
Le professeur de santé publique Jean-Régis Bouiti rappelle que chaque franc investi dans la salubrité urbaine en épargne trois dans les coûts de soins. « Rendre la ville étanche aux épidémies, c’est aussi protéger sa compétitivité économique », analyse ce spécialiste.
Dans un contexte de changement climatique, l’intensité croissante des précipitations dans le bassin du Congo accentue les risques d’inondation. Les autorités veulent éviter que les quartiers vulnérables deviennent des matrices de crises sanitaires, ce qui renverrait la capitale à des schémas d’urgence coûteux.
Vers une culture de l’éco-citoyenneté
Au-delà de l’outil répressif, la mairie de Brazzaville planche sur une campagne multimédia destinée aux jeunes. Clips musicaux en lingala, émoticônes didactiques sur les messageries instantanées et concours scolaires de propreté doivent nourrir une nouvelle grammaire écologique, plus inclusive.
Un partenariat avec l’Institut français et le Centre culturel turc permettra de diffuser les messages dans des expositions itinérantes. L’art visuel, souvent plus persuasif que le texte administratif, servira d’interface entre les décideurs et les habitants des ruelles denses.
Les universités locales se joindront à l’effort en intégrant des cours d’écologie urbaine au premier cycle. Former les cadres de demain à la gestion durable des eaux pluviales consolidera, selon le doyen de Marien Ngouabi, la souveraineté environnementale du Congo.
Si le chantier est colossal, la dynamique enclenchée ouvre une fenêtre d’opportunité pour institutionaliser la propreté comme bien commun. Les prochains mois serviront de test grandeur nature: la pluie arbitrera, mais la conscience citoyenne, elle, restera la première digue.
Pour suivre la trajectoire de l’opération, un tableau de bord en ligne sera publié par le ministère. Chacun pourra y consulter, quartier par quartier, le calendrier des interventions, les volumes de déchets retirés et la liste des partenaires mobilisés, gage de transparence et de confiance.
Dès l’an prochain, Brazzaville envisage d’étendre ce modèle à Pointe-Noire, afin de créer une synergie nationale autour de l’assainissement urbain.