Brazzaville face à ses déchets
Au cœur de Poto-Poto, des monticules d’ordures forment des labyrinthes malodorants que les écoliers contournent chaque matin. Le spectacle choque, mais il n’est pas nouveau. Brazzaville vit une crise d’assainissement que les autorités, les entreprises et les citoyens tentent de juguler ensemble.
La grève des équipages d’Albayrak, prestataire turc chargé de la collecte, a soudainement stoppé un service déjà sous tension. Les bacs débordent, les caniveaux se bouchent et les pluies transportent les déchets vers le fleuve. L’arrêt révèle la dépendance à un seul opérateur.
Mobilisation citoyenne en première ligne
Pourtant, depuis trois ans, la mairie de Brazzaville multiplie les campagnes de sensibilisation. Des brigades scolaires ramassent symboliquement bouteilles et sachets. «Nous voulons montrer que la propreté dépend d’abord de nous», explique Clarisse Oba, cheffe du service environnement municipal, qui supervise les ateliers.
Une politique nationale pour structurer l’action
En octobre, le ministre Juste Désiré Mondélé a présenté la Politique nationale d’assainissement 2026-2030. Ce cadre vise à réduire de 60% les maladies liées à l’insalubrité, stimuler l’économie circulaire et créer dix mille emplois verts. Son adoption a reçu l’appui de partenaires techniques internationaux.
Le document met l’accent sur la responsabilisation des collectivités. Chaque arrondissement doit élaborer un plan local, assorti d’indicateurs mesurables: fréquence des tournées, volumes traités, taux de recyclage. Un fonds dédié sera alimenté par une redevance environnementale progressive, afin de réduire la pression sur le budget central.
Financer la propreté sans grever le budget
Les chiffres interrogent toutefois. Actuellement, l’État verse 3,25 milliards de francs CFA chaque mois à Albayrak pour Brazzaville et Pointe-Noire. Depuis la baisse des cours du pétrole en 2014, ces montants pèsent lourd. «Nous devons diversifier nos sources de financement», confie un cadre du ministère des Finances.
Le Centre de recherche en santé publique rappelle que les ordures non collectées favorisent choléra et paludisme. Pendant la saison des pluies, les eaux stagnantes mêlées de déchets deviennent gîtes larvaires pour moustiques. Les coûts sanitaires, estimés à 1,8 % du PIB urbain, dépassent ceux de la collecte.
Des solutions locales qui font leurs preuves
Une piste évoquée consiste à décentraliser partiellement la collecte. Des opérateurs locaux, appuyés par les mairies, pourraient gérer les tournées de quartier pour 10 à 20 millions de francs CFA mensuels chacun. Avec quinze arrondissements dans les deux principales villes, l’enveloppe resterait inférieure à 300 millions.
À Talangaï, un projet pilote teste ce modèle depuis juillet. Une coopérative de jeunes, équipée de deux camions-bennes réhabilités, collecte chaque matin dix tonnes de déchets. Le financement provient d’un prélèvement volontaire sur les boutiques et d’un appui de 5 millions de la mairie d’arrondissement.
Selon le comité d’hygiène du quartier, la présence de mouches a chuté d’un tiers et aucun cas récent de diarrhée n’a été signalé au centre de santé voisin. «Le changement est visible et rapide», témoigne Félicité Goma, infirmière, en montrant les voiries dégagées.
Emplois verts et économie circulaire
Pour les jeunes engagés, l’initiative offre un revenu stable, autour de 90 000 F CFA mensuels, et une formation certifiante en gestion des déchets. «Je pensais partir chercher un travail à Pointe-Noire. Aujourd’hui je contribue à rendre ma rue propre», sourit Cédric Mbemba, 24 ans.
La question du recyclage reste centrale. À Makélékélé, l’association Recy’Verte transforme les bouteilles PET en pavés de terrasse. Elle achète les plastiques triés 100 F CFA le kilogramme, offrant ainsi une motivation supplémentaire aux collecteurs. Trois écoles utilisent déjà ces pavés pour leurs cours de récréation.
Innovation technologique et énergie verte
Le suivi passe aussi par le numérique. La start-up GeoClean cartographie les dépotoirs grâce à des images satellites accessibles librement. Les données alimentent un tableau de bord public où chaque citoyen peut signaler un site critique via son téléphone, facilitant la planification des tournées.
Des experts de l’Université Marien-Ngouabi étudient la valorisation énergétique. Un prototype de biodigesteur, installé à Djiri, transforme 2 tonnes de déchets organiques en biogaz suffisant pour alimenter vingt lampadaires solaires hybrides. Le projet pourrait, à terme, réduire les dépenses d’éclairage public nocturne.
Vers une gouvernance partagée durable
Pour pérenniser ces avancées, la Direction générale de l’assainissement prévoit de contractualiser avec ces structures citoyennes. Un cahier des charges standard définit les volumes, la sécurité au travail et la traçabilité jusqu’au centre d’enfouissement de Nkayi. Les inspections seront menées chaque trimestre avec des représentants de quartiers.
D’un point de vue climatique, chaque tonne détournée de la décharge évite environ 0,7 tonne d’équivalent CO2, selon l’Agence congolaise de l’environnement. Si Brazzaville réduit sa production de déchets non traités de 20%, les économies carbone seraient comparables aux émissions annuelles de 40 000 véhicules particuliers.
Les partenaires financiers scrutent ces innovations. La Banque de développement des États d’Afrique centrale envisage une ligne de crédit verte destinée aux collectivités qui atteindront un taux de recyclage supérieur à 30%. Les municipalités pourront ainsi acquérir camions, stations de tri et équipements de sécurité, à des conditions concessionnelles.
L’urgence sanitaire reste réelle, mais les pistes explorées démontrent qu’une approche décentralisée, participative et adossée à l’économie circulaire peut rapidement inverser la tendance. Tandis que les énormes bennes se remettent en marche, de petites équipes locales prouvent déjà qu’ensemble, la capitale peut respirer de nouveau.
