Vers un habitat sûr et résilient
Brazzaville connaît une mutation rapide : lotissements spontanés, tensions foncières et habitat précaire s’y côtoient. Lors d’un débat organisé par l’Isaubtp à Kintélé, urbanistes, étudiants et autorités ont posé le même diagnostic : il faut accélérer l’investissement dans des logements décents, accessibles et résilients.
Pour eux, la ville n’est pas seulement un toit mais un écosystème qui protège des risques, abrite des emplois et catalyse l’innovation locale. L’architecture est donc perçue comme un service essentiel, au même titre que l’énergie ou l’eau, particulièrement dans un contexte de changement climatique.
Pression démographique et risques climatiques
Le professeur Narcisse Malanda rappelle que la température moyenne nationale a progressé de 0,07 % en un demi-siècle, accentuant érosions, inondations et glissements de terrain. Brazzaville et Pointe-Noire, fortement bétonnées, subissent désormais pluies intenses et ruissellements rapides, fragilisant ponts, routes et habitations anciennes.
Dans le même temps, le pays figure au 48ᵉ rang mondial des territoires vulnérables et au 8ᵉ des moins préparés, tandis que la croissance démographique urbaine tutoie 10 % par an. Sans régulation foncière, la demande en toitures sûres dépasse largement l’offre structurée actuelle.
Conséquence directe : les collines non viabilisées se couvrent de maisons légères, exposées aux vents et aux crues. Les experts préconisent donc de reconstruire les quartiers vulnérables, réhabiliter les collecteurs d’eaux pluviales et mettre à jour le code d’urbanisme pour anticiper les futurs épisodes climatiques extrêmes.
Le rôle stratégique des architectes
Face à ces défis, les architectes du Congo mobilisent leurs savoir-faire. « Notre rôle n’est pas seulement esthétique », précise l’enseignant-chercheur Ange Obili. « Nous devons proposer des matériaux locaux adaptés, optimiser l’orientation des façades et intégrer la gestion des eaux dès la conception des plans ».
Selon l’ordre national des architectes, une quarantaine d’agences travaillent déjà sur des projets pilotes de logements sociaux ventilés naturellement. Ces prototypes, testés à Dolisie et Oyo, réduisent la température intérieure de trois degrés sans climatisation, grâce à des toitures en bardeaux de fibre de raphia et des murs respirants.
Les écoles supérieures, quant à elles, misent sur la recherche-action. À l’Isaubtp, un laboratoire de modélisation 3D cartographie désormais chaque ravine menaçante pour suggérer en temps réel des contre-mesures. Les données sont partagées avec les municipalités pour guider l’implantation de caniveaux et d’espaces verts absorbants.
Financements et partenariats possibles
La question cruciale reste toutefois le financement. Les participants plaident pour des mécanismes mixtes : subventions ciblées, obligations vertes et micro-crédits orientés vers l’auto-construction encadrée. La Banque mondiale soutient déjà un programme de 100 millions USD destiné à l’assainissement pluvial de Brazzaville et à la formation d’artisans.
Le gouvernement, pour sa part, étudie la création d’un fonds de garantie dédié au logement durable. L’idée : réduire le risque pour les banques qui souhaitent prêter aux jeunes ménages et aux coopératives. Une ordonnance devrait préciser les critères ESG exigés pour bénéficier d’un taux préférentiel.
Les entreprises de BTP congolaises envisagent, elles aussi, de s’aligner sur cette transition. Atou Construction a annoncé le lancement d’une ligne de briques comprimées à faible émission qui divise par deux la consommation de ciment. L’usine, prévue à Mindouli, emploiera prioritairement des diplômés locaux formés aux normes environnementales.
Voix des quartiers: attentes et idées
Dans les quartiers Makélékélé et Vindoulou, les habitants suivent ces annonces avec prudence mais espoir. Marie-Claude, vendeuse de légumes, explique qu’un bon logement signifie surtout un sol sec pour stocker ses marchandises. Elle souhaite pouvoir rembourser un micro-crédit sans hypothéquer son avenir ni celui de ses enfants.
Les jeunes architectes proposent d’impliquer systématiquement les communautés dans la conception participative. « Une maison bien pensée naît d’abord des usages », souligne Jocelyn Nkouka, diplômé 2022. À Vindoulou, son équipe organise des ateliers maquettes avec les riverains pour décider de l’emplacement des cuisines, espaces de tri et jardins partagés.
Ces démarches rejoignent les priorités de la Stratégie nationale de développement durable, qui insiste sur la résilience urbaine et l’économie circulaire. Le recyclage des déchets de chantier en granulats y est encouragé. Plus de 60 % des gravats de la corniche de Brazzaville pourraient ainsi être réemployés dans le pavage.
Observateurs et investisseurs étrangers voient dans ces signaux l’émergence d’un marché vert encore sous-exploré. Les ONG saluent la volonté gouvernementale de ne laisser personne à la marge. Elles rappellent toutefois que la transparence des appels d’offres et la formation continue seront déterminantes pour pérenniser la confiance acquise.
Prochaines étapes pour 2024
Si les plans directeurs rénovés sont adoptés et que les fonds promis se concrétisent, Brazzaville et Pointe-Noire pourraient devenir des vitrines régionales d’urbanisme sobre en carbone. Les participants au débat de Kintélé résument l’enjeu : bâtir aujourd’hui pour que chaque famille partage demain une ville plus sûre et prospère.
Pour 2024, l’Isaubtp prévoit une exposition itinérante montrant les prototypes réussis et les cartes des risques urbains. L’évènement passera par Ouesso, Dolisie et Owando afin de diffuser les bonnes pratiques au-delà des deux grandes métropoles côtières, à toute échelle.
