Un atelier stratégique à Brazzaville
Le 15 septembre, les salons lumineux d’un hôtel de Brazzaville ont réuni une soixantaine de décideurs autour d’un enjeu crucial : payer, enfin, les services rendus par la nature congolaise.
Le gouvernement parie sur un mécanisme de paiement des services environnementaux capable de consolider l’agriculture tout en préservant les forêts du bassin du Congo.
Pendant deux jours, experts, ONG, entreprises et agences onusiennes examinent la version pilote de cet outil, déterminés à l’adapter aux réalités spécifiques de la République du Congo.
Un principe simple, un impact multiple
Le paiement pour services environnementaux, ou PSE, rémunère les agriculteurs qui protègent l’eau, les sols ou la biodiversité, créant un cercle vertueux entre production et conservation.
La République du Congo veut faire de ce principe une réponse concrète aux sécheresses récurrentes observées dans certaines savanes et à la pression démographique autour des villes.
Selon le ministère de l’Agriculture, plus de soixante-dix pour cent des exploitants familiaux n’ont pas encore accès à des incitations financières pour améliorer leurs pratiques.
Avec le futur fonds PSE, chaque hectare préservé pourrait générer un revenu complémentaire, réduisant la dépendance au charbon de bois qui accélère la déforestation périurbaine.
Du Prorep aux ambitions régionales
Le nouveau dispositif s’appuie sur les enseignements du Projet de renforcement en bois énergie durable, ou Prorep, déployé depuis 2018 avec l’appui de la Banque mondiale.
Prorep a démontré qu’il est possible de concilier plantations communautaires, foyers améliorés et réduction des émissions, tout en créant 2 500 emplois verts.
Fort de cette expérience, Brazzaville a convaincu l’Initiative pour les forêts d’Afrique centrale, Cafi, d’inscrire le PSE dans le portefeuille des six pays partenaires.
Deux outils numériques pour décider
La planification repose sur un système d’information géographique combiné à un calculateur carbone qui simule l’évolution des stocks forestiers et des rendements agricoles.
Les experts soulignent que les cartes interactives intègrent déjà les données Sentinel et Landsat, offrant une précision de dix mètres, inédite pour un programme régional de cette ampleur.
Une première version du modèle a été testée dans le Plateau des Batéké ; les images montrent une réduction de douze % du déboisement sur les zones pilotes.
Cette approche basée sur les preuves rassure les investisseurs privés, à la recherche de garanties mesurables avant de s’engager dans le marché naissant des crédits carbone africains.
Des revenus sûrs pour les producteurs
Les représentants des coopératives d’Owando et de Sibiti, présents à l’atelier, insistent sur l’importance de paiements réguliers versés via le mobile money pour limiter les frais bancaires.
Si la prime arrive à temps, nous planterons plus de manioc entre les lignes d’acacias, assure Mireille Mouyabi, agricultrice, évoquant la double rentabilité de l’agroforesterie.
Le ministère des Finances travaille avec des fintechs locales pour sécuriser les flux, tandis qu’une plateforme de suivi ouverte au public affichera la liste des bénéficiaires.
Cette transparence vise à renforcer la confiance des bailleurs internationaux et à lutter contre la fuite des jeunes ruraux vers les centres urbains, faute de perspectives économiques.
Feuille de route nationale : étapes clés
Le cadre générique élaboré par Cafi identifie six étapes, de la sélection des sites à la certification des résultats, que chaque pays doit contextualiser.
Pour la République du Congo, les ministères concernés finalisent une cartographie des parties prenantes et un calendrier législatif afin d’ancrer le PSE dans le droit national.
Une unité de coordination sera hébergée à la Primature, garantissant une articulation fluide avec les plans climatiques et les programmes de développement agricole existants.
La phase de démonstration devrait démarrer l’an prochain sur cent cinquante 000 hectares, puis s’étendre progressivement, en ciblant prioritairement les régions au fort potentiel de séquestration carbone.
Perspectives régionales et voix des communautés
Les pays voisins, Gabon et Cameroun en tête, suivent attentivement le déploiement congolais pour harmoniser les référentiels et faciliter d’éventuels regroupements de crédits sur la place de Londres.
Pour les associations locales, l’adhésion communautaire reste la clé du succès ; elles demandent la diffusion en langues vernaculaires des cartes et des procédures d’inscription.
Le chercheur Armand Ngatsé, de l’université Marien-Ngouabi, plaide pour un tableau de bord public intégrant météo, biomasse et prix, afin de mieux évaluer les co-bénéfices socioéconomiques.
À l’issue de l’atelier, un comité restreint rédigera une note de position conjointe qui sera remise au prochain sommet Climat Afrique, confirmant l’engagement actif du Congo.
Financements et gouvernance transparente
Le Fonds vert pour le climat a déjà signalé son intérêt, ouvrant la porte à une première enveloppe d’amorçage de dix-huit millions de dollars, selon un responsable du Trésor.
Ce financement permettra de co-subventionner les formations, la certification Rainforest Alliance et l’implantation de stations solaires destinées à la transformation post-récolte.
La Cour des comptes et de discipline budgétaire sera associée au suivi, garantissant une traçabilité complète, depuis l’origine des fonds jusqu’au dernier franc versé aux producteurs.
Pour le professeur Lydie Makaya, experte en gouvernance climatique, la transparence reste la meilleure assurance contre les doutes et ouvre l’accès à d’autres financements innovants, comme les obligations vertes.
