Brazzaville au cœur des poumons planétaires
De jeudi à samedi, Brazzaville se fait l’épicentre d’une séquence diplomatique environnementale dont la symbolique dépasse les frontières régionales. Pour la deuxième fois seulement, les représentants des bassins forestiers de l’Amazonie, du Congo et de Bornéo-Mékong se retrouvent dans la capitale congolaise, illustrant la place croissante du pays dans la gouvernance climatique internationale. « Les trois bassins représentent 80 % des forêts tropicales du monde et trois quarts de sa biodiversité », rappelle la ministre congolaise de l’Environnement Arlette Soudan Nonault, soulignant le rôle régulateur majeur que jouent ces écosystèmes dans la stabilité climatique globale.
Un dialogue scientifique avant l’arbitrage politique
La scénographie retenue donne la priorité aux savoirs. Durant la journée inaugurale, climatologues, biologistes, économistes et représentants d’ONG clarifient les données qui alimenteront les arbitrages ministériels du vendredi puis les allocutions présidentielles du samedi. Ce séquençage traduit un souci de baser la décision sur des éléments empiriques robustes, conformément aux recommandations formulées par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC 2023). Selon un rapport partagé en session plénière, la déforestation cumulée des trois bassins a été ramenée sous la barre des neuf millions d’hectares par an depuis 2020, mais les pressions foncières et extractives demeurent critiques, en particulier en périphérie des concessions minières.
Vers une diplomatie climatique inter-bassins
Le président Denis Sassou Nguesso, hôte du sommet, a fait de la diplomatie verte un axe majeur de rayonnement régional, cherchant à transformer la conservation forestière en levier de solidarité Sud-Sud. Plusieurs chefs d’État africains – de la République démocratique du Congo au Kenya, en passant par le Togo et le Rwanda – ont confirmé leur présence. Si aucun dirigeant amazonien ou asiatique ne fait le déplacement, leurs délégations techniques participent aux tables rondes, témoignant d’une volonté de continuer à avancer malgré les contraintes d’agenda. Cette géométrie variable d’engagement illustre la complexité des agendas nationaux, mais elle n’annihile pas la dynamique collective : « Nous travaillons à pérenniser la conjugaison des trois bassins, qu’ils soient physiquement présents ou représentés », précise Mme Soudan Nonault.
Financements et innovations pour la transition énergétique
Au-delà des slogans, le sommet veut matérialiser des solutions. L’un des points centraux porte sur la création d’un mécanisme financier adossé aux marchés carbone volontaires afin de rémunérer la séquestration du CO₂ réalisée par les forêts tropicales. Les négociateurs congolais plaident pour un prix plancher supérieur à 30 dollars la tonne afin de garantir la viabilité économique des projets de conservation. Parallèlement, plusieurs start-ups africaines spécialisées dans la bio-énergie et la télédétection satellitaire présentent des prototypes compatibles avec les besoins des communautés riveraines, démontrant qu’innovation technologique et savoirs traditionnels ne sont pas antinomiques. « La transition énergétique ne se décrète pas ; elle se finance et se partage », estime un consultant de l’Agence française de développement, invité à commenter les synergies possibles entre financements publics et investissements privés.
Enjeux sociopolitiques et sécuritaires sous-jacents
La préservation des forêts ne saurait se réduire à une comptabilité carbone. Dans le bassin du Congo, plus de 60 millions d’habitants dépendent directement des ressources forestières pour leur subsistance, rappelle une note de la Commission des forêts d’Afrique centrale (COMIFAC 2023). Les délégations entendent par conséquent promouvoir des approches inclusives valorisant la gouvernance communautaire et l’égalité de genre, éléments jugés déterminants pour limiter les conflits d’usage. Les discussions abordent également la coopération transfrontalière en matière de sécurité, au moment où certaines régions forestières demeurent exposées aux activités illicites telles que l’exploitation minière artisanale non contrôlée.
Perspectives d’une coalition mondiale durable
Le sommet devrait se conclure par une déclaration de Brazzaville articulée autour de trois axes : convergence politique des trois bassins, mobilisation accélérée de ressources financières et mutualisation des données scientifiques. L’objectif, ainsi formulé par les organisateurs, consiste à « donner corps à une coalition mondiale pour accélérer la transition énergétique ». Si la route demeure longue, la capacité de Brazzaville à rassembler experts, bailleurs et décideurs consacre la ville comme un espace de négociation climatique incontournable. Cette dynamique ouvre la voie à un multilatéralisme renouvelé, où les États forestiers du Sud prennent l’initiative et proposent des solutions ajustées à leurs réalités écologiques et socio-économiques, tout en contribuant de manière décisive à la lutte contre le dérèglement climatique.