Brazzaville relance sa stratégie portuaire
La rencontre du 16 juillet dernier entre la ministre congolaise des Transports, de l’Aviation civile et de la Marine marchande, Ingrid Olga Ghislaine Ebouka-Babackas, et l’ambassadrice du Venezuela, Laura Evangelia Suárez, s’inscrit dans un contexte de redéfinition des priorités économiques régionales. Reçue au siège du ministère, la diplomate vénézuélienne a rappelé le « capital de confiance » que son pays entretient avec Brazzaville, construit d’abord sur le socle pétrolier, mais désormais appelé à s’étendre vers la mer. Cette volonté s’accorde avec l’orientation du Plan national de développement 2022-2026 du Congo, qui place la logistique portuaire et la connectivité maritime au cœur de la transformation structurelle de l’économie.
Du pétrole à la diversification productive
Depuis deux décennies, la coopération Congo-Venezuela s’articule principalement autour des hydrocarbures, Caracas fournissant expertise et capitaux tandis que Brazzaville assure un approvisionnement régulier en brut. Cependant, la volatilité des prix mondiaux et la pression exercée par les objectifs climatiques invitent les deux États producteurs à atténuer leur dépendance vis-à-vis de l’or noir. La ministre congolaise observe que « l’avenir se jouera tout autant sur les corridors maritimes que sur les champs pétroliers », soulignant l’opportunité de développer une flotte marchande nationale plus compétitive pour acheminer les produits agricoles, forestiers ou miniers vers les marchés atlantiques.
Une convergence d’intérêts stratégiques
Le Venezuela dispose d’atouts techniques notoires dans la construction navale, l’armement de pétroliers et la gestion de terminaux spécialisés. De son côté, le Congo bénéficie de positions géographiques privilégiées, notamment le port en eaux profondes de Pointe-Noire, pivot naturel pour desservir l’Afrique centrale et la zone CEEAC. En agrégeant ces complémentarités, les négociateurs entendent constituer une plateforme logistique Sud-Sud capable de réduire les coûts de fret et de sécuriser les chaînes d’approvisionnement essentielles, un enjeu mis en lumière par les perturbations dues à la pandémie.
Les défis logistiques de l’Afrique centrale
Selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement, moins de 5 % des échanges intrarégionaux d’Afrique centrale transitent actuellement par des navires battant pavillon local, un chiffre qui souligne la dépendance vis-à-vis de compagnies extérieures. En s’appuyant sur l’expérience de la compagnie vénézuélienne de navigation fluvio-maritime, Brazzaville envisage la création d’une entité mixte susceptible d’exploiter des lignes régulières vers l’Atlantique Sud. La modernisation des infrastructures, la digitalisation de la chaîne logistique et l’harmonisation des normes de sûreté maritime constituent toutefois des prérequis indispensables que les deux gouvernements ont inscrit à l’ordre du jour de la commission mixte.
Formation et transfert de compétences
L’expertise humaine demeure la clef de voûte d’une stratégie navale durable. Dans cette optique, les discussions ont abordé la question du jumelage entre l’Académie congolaise de la marine marchande et l’Université maritime du Venezuela. Les programmes envisagés couvrent la formation d’officiers pont et machine, la maintenance des moteurs deux temps à faible émission ainsi que la gestion des cargaisons dangereuses. Pour la diplomate vénézuélienne, « partager nos centres d’instruction, c’est investir dans une même génération de navigateurs ». À terme, ces parcours croisés devraient alimenter le marché régional en compétences pointues, réduisant la dépendance aux équipages extra-africains.
Diplomatie bleue et perspectives régionales
Cette coopération maritime s’intègre dans un mouvement plus large de diplomatie bleue, où les enjeux de sécurité, de durabilité et de croissance se superposent. Le Congo, déjà engagé dans des initiatives de surveillance côtière avec la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, voit dans l’appui de Caracas un levier supplémentaire pour défendre ses intérêts halieutiques et lutter contre la piraterie dans le golfe de Guinée. De l’avis d’un chercheur du Centre africain d’études stratégiques, « associer une puissance caribéenne à la sécurisation des routes transatlantiques offre une dimension géopolitique nouvelle, fondée sur la solidarité Sud-Sud ».
À l’issue de l’entretien de Brazzaville, les délégations ont convenu d’établir une feuille de route détaillée dont les premières étapes devraient être présentées lors de la prochaine session de la commission mixte. Sans triomphalisme mais avec une détermination pragmatique, la ministre Ingrid Olga Ghislaine Ebouka-Babackas a résumé l’esprit de la démarche : « Nous voulons donner de la profondeur à notre façade maritime et de la valeur ajoutée à notre économie ». En filigrane, l’objectif est clair : faire de la mer un vecteur de résilience économique tout en consolidant les relations bilatérales sous le sceau d’un multilatéralisme de proximité.