La culture, levier stratégique revisité
Sous les lambris du Centre international de conférences de Brazzaville, l’atmosphère du 16 juillet trahissait l’importance accordée désormais à la filière culturelle dans les politiques publiques régionales. Près d’une centaine de représentants gouvernementaux, de statisticiens, de responsables d’institutions patrimoniales et d’experts universitaires ont répondu à l’invitation conjointe de l’Unesco et de l’Organisation internationale de la francophonie. Leur objectif, clairement énoncé, consiste à traduire l’intuition diplomatique – la culture comme ferment de cohésion et d’innovation – en données mesurables, comparables et enchâssées dans l’Agenda 2030.
Un atelier brazzavillois sous le signe de l’Agenda 2030
À l’ouverture des travaux, Lis Pascal Moussodji, directeur de cabinet de la ministre de l’Industrie culturelle, touristique, artistique et des Loisirs, a posé le cadre : « Mieux évaluer, c’est mieux gouverner. Et mieux gouverner, c’est mieux servir », a-t-il déclaré, soulignant que la culture n’a plus vocation à demeurer un secteur marginal mais doit s’affirmer en catalyseur de prospérité partagée. Cette conviction rejoint la dynamique du Plan national de développement 2022-2026, qui érige la diversité créative en pilier de diversification économique tout en s’adossant à un dispositif statistique rénové.
Des indicateurs pour quantifier l’intangible
Nés d’un long travail scientifique piloté par l’Unesco, les indicateurs thématiques culture-ODD entendent saisir l’apport des activités artistiques à la croissance, à l’inclusion et à la durabilité environnementale. Ils couvrent les chaînes de valeur, la gouvernance, l’accès, l’éducation et le patrimoine. Leur force réside dans une méthodologie adaptable, comme l’a rappelé Gon Myers, représentant du Programme alimentaire mondial : « Chaque pays doit interpréter ces métriques à l’aune de ses réalités, sans quoi l’outil perd son caractère opérationnel ». Les sessions techniques, structurées autour d’études de cas et de simulations, ont ainsi initié les participants à la localisation des sources, au calibrage des enquêtes et à l’agrégation des résultats.
La convergence des partenaires internationaux
Au-delà des aspects purement méthodologiques, l’atelier brazzavillois illustre la nouvelle grammaire de la coopération multilatérale. L’OIF, par la voix d’Alphonse Waguena, a insisté sur « la nécessité d’un langage commun pour objectiver la contribution socio-économique des arts ». Le partenariat Unesco-OIF-PAM, rejoint par la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique et l’Union africaine, témoigne d’une volonté de mutualiser diagnostics et financements. Concrètement, il s’agit d’éviter que chaque administration invente son propre référentiel, au risque de produire des données non comparables et de diluer les efforts de plaidoyer budgétaire.
Le Congo, laboratoire régional de la donnée culturelle
En offrant son hospitalité à la rencontre, la République du Congo renforce son positionnement de carrefour intellectuel et diplomatique en Afrique centrale. Les autorités nationales entendent capitaliser sur une tradition de stabilité institutionnelle pour fédérer les compétences régionales. Plusieurs chercheurs du Centre national de la statistique et des études économiques ont présenté des premiers tableaux de bord reliant la fréquentation des musées à l’entrepreneuriat créatif et à l’emploi des jeunes urbains. Ces prototypes, salués par la délégation camerounaise, esquissent le type de corrélations que les futurs indicateurs devraient systématiser.
Une feuille de route régionale attendue
Les conclusions provisoires, qui seront entérinées le 18 juillet, prévoient la création d’un réseau d’experts chargé d’accompagner la collecte et la validation des données tandis qu’un calendrier de restitution semestrielle permettra aux ministères de suivre l’alignement de leurs politiques avec les Objectifs de développement durable. Une attention particulière est réservée à la circulation des bonnes pratiques au sein des communautés locales, gardiennes d’un patrimoine immatériel dont la monétisation doit rester éthique et inclusive. L’ensemble des participants a convenu qu’à l’heure des crises climatiques et des mutations économiques, la culture constitue un capital symbolique et matériel que des indicateurs robustes contribueront à protéger et à valoriser.
Vers une gouvernance éclairée par la donnée
L’atelier de Brazzaville consacre ainsi, au-delà de la diplomatie des déclarations, l’avènement d’une gouvernance par la preuve statistique dans le champ culturel. En dotant l’Afrique centrale d’outils communs, la démarche favorise la planification, rassure les bailleurs et crédibilise la place de la culture dans les budgets nationaux. Elle dessine enfin une trajectoire où les industries créatives, soutenues par le leadership des États et l’expertise internationale, deviennent à la fois moteur de croissance et vecteur de cohésion dans un espace régional en quête de diversification économique durable.