Une manne financière stratégique pour l’électrification
Dans un contexte régional où la sécurisation de l’approvisionnement énergétique demeure l’un des leviers majeurs de compétitivité, l’annonce d’un financement de cent millions de dollars, soit environ soixante milliards de FCFA, par la Banque mondiale, offre au Congo-Brazzaville un relais de croissance décisif. Le Projet d’amélioration des services de l’électricité, plus connu sous l’acronyme Pasel, s’inscrit dans le prolongement des engagements gouvernementaux en faveur de l’accès universel à l’électricité d’ici à 2035. L’initiative, lancée officiellement à Brazzaville par le ministre de l’Énergie et de l’Hydraulique, Émile Ouosso, traduit la volonté de l’exécutif de consolider les bases d’un service public moderne, fiable et économiquement viable.
Renforcer l’épine dorsale du transport haute tension
La première composante du Pasel cible le cœur même de l’infrastructure : la ligne haute tension de 220 kV reliant Pointe-Noire à Brazzaville. Ce corridor de près de 500 kilomètres supporte la quasi-totalité des flux électriques entre le littoral industriel et la capitale administrative. Sa réhabilitation, couplée à la modernisation des postes de Ngoyo et Mbouono, permettra non seulement de réduire les interruptions de service, mais aussi d’absorber la demande croissante tirée par la relance de la zone économique spéciale de Pointe-Noire. Les équipes d’Energie électrique du Congo entendent, grâce à l’installation d’équipements statiques et au remplacement systématique des isolateurs vieillissants, sécuriser durablement la capacité de transit tout en renforçant la résilience face aux aléas climatiques.
De la distribution à la facturation : la bataille contre les pertes
Le deuxième axe, focalisé sur la distribution et la vente au détail, traite une problématique aussi technique que sociétale : les pertes non techniques, souvent synonymes de fraude ou d’inefficience commerciale. Selon les estimations officielles, ces pertes représentent jusqu’à 25 % de l’énergie injectée dans le réseau urbain. En dotant les 26 000 plus gros consommateurs d’une infrastructure de comptage télé-relevée, l’État et la Banque mondiale misent sur une rationalisation des flux financiers qui devrait libérer des marges pour la maintenance. Parallèlement, le déploiement de 120 000 compteurs intelligents chez les usagers domestiques introduit une logique de responsabilisation individuelle, en phase avec la tarification progressive déjà engagée par le régulateur.
Le numérique au service du pilotage énergétique
La réhabilitation du système d’automatisation Scada occupe une place singulière dans la stratégie nationale. Interface névralgique, ce dispositif de supervision en temps réel permet d’anticiper les surcharges, de ventiler les capacités excédentaires et de déclencher à distance les opérations de délestage maîtrisé. Sa modernisation constitue, aux yeux des ingénieurs, une condition sine qua non pour intégrer à moyen terme les futurs apports d’énergies renouvelables, qu’il s’agisse du barrage de Sounda ou des projets solaires émergents dans les plateaux Batéké. En toile de fond, l’administration ambitionne de bâtir un réseau « intelligent », capable de dialoguer avec les compteurs nouvelle génération et de nourrir un big data énergétique, ressource précieuse pour la planification macro-économique.
Soutenir la réforme sectorielle et la bonne gouvernance
Au-delà des infrastructures physiques, la troisième composante du Pasel prévoit un appui institutionnel destiné à consolider la réforme amorcée depuis la création d’Energie électrique du Congo en 2021. L’enjeu consiste à consolider les outils de régulation, à clarifier le cadre tarifaire et à renforcer la culture de performance au sein des opérateurs publics. Les experts de la Banque mondiale insistent, dans leurs analyses, sur la nécessité d’un équilibre subtil entre soutenabilité financière et accessibilité sociale, équilibre que le gouvernement congolais entend préserver grâce à des subventions ciblées et à la poursuite des efforts de rationalisation budgétaire.
Un impact socio-économique attendu sur l’ensemble du territoire
Si l’essentiel du financement se concentre sur le corridor Pointe-Noire-Brazzaville, les retombées macro-économiques devraient irriguer l’ensemble du territoire national. L’amélioration de la qualité de service est susceptible de réduire le recours aux générateurs diesel dans les PME, donc de faire baisser les coûts de production. À plus long terme, la fiabilité du réseau constitue un argument d’attractivité pour les investisseurs, notamment ceux des industries de transformation du bois et de l’agro-alimentaire, deux filières identifiées comme prioritaires par le Plan national de développement. Sur le plan social, l’accès stable à l’électricité dans les quartiers périphériques de la capitale favorisera la scolarisation en soirée et l’émergence d’activités génératrices de revenus, en particulier pour les femmes entrepreneures.
Vers un nouveau paradigme énergétique congolais
Le Pasel, par son volume financier et la sophistication de ses composantes, s’apparente à un laboratoire grandeur nature de la transition énergétique en Afrique centrale. Il conjugue modernisation technologique, gouvernance rénovée et inclusion sociale, autant de dimensions que les autorités congolaises placent désormais au cœur de la politique publique. Dans un entretien accordé à notre rédaction, un cadre du ministère de l’Énergie souligne que « la réussite du Pasel sera le baromètre de notre capacité collective à traduire la vision présidentielle en réalités tangibles pour les ménages et les entreprises ». L’électrification, longtemps perçue comme une simple prestation technique, devient ainsi un catalyseur de cohésion nationale et de projection internationale.