Poésie et mémoire urbaine
La lettre ouverte d’Yakamambu, relayant le poème de Maman Saro, a circulé sur les réseaux congolais début juin. En quelques strophes, la septuagénaire rappelle la splendeur végétale qui valut jadis à Brazzaville son surnom de « Brazza-la-verte » et invite à la protéger.
Ce signal poétique n’est pas isolé. Entre deux couplets, la rime dresse un constat: ordures ménagères, sachets plastiques et eaux usées multiplient les risques sanitaires et climatiques. Beaucoup reconnaissent désormais l’urgence de transformer l’émotion artistique en actions concrètes pour assainir les quartiers.
Brazzaville écrit ainsi sa propre histoire environnementale, mêlant souvenirs, littérature et mobilisation populaire. Les vers de Saro deviennent un levier de sensibilisation régulièrement déclamé dans les écoles et lors des campagnes de collecte de déchets coordonnées par les associations de quartier.
Brazzaville face au défi des déchets
Selon la direction générale de l’Environnement, la capitale produit en moyenne 700 tonnes d’ordures par jour, dont moins de la moitié est évacuée vers la décharge contrôlée de Mpila. Le reste finit souvent dans les ravins ou obstrue les caniveaux pendant la saison des pluies.
Ces accumulations provoquent chaque année des inondations éclair, aggravant la fragilité des habitations construites sur des sols déjà sujets à l’érosion. D’après l’Observatoire congolais du climat, les pertes économiques liées aux dégâts hydrologiques dépassent un milliard de francs CFA depuis 2020.
L’insalubrité compromet également l’image touristique de la ville, porte d’entrée sur le fleuve Congo. « Les visiteurs s’attendent à une ville-jardin », regrette Arsène Ebo, guide indépendant. « Nous devons redevenir cette vitrine verte qui reflète l’engagement national pour la durabilité », estime-t-il.
Des collectifs jeunes en première ligne
Dans le quartier Diata, le collectif Jumo Système organise chaque samedi un ramassage participatif suivi d’ateliers de compostage. Les lycéens convertissent feuilles mortes et restes de marché en engrais distribué aux maraîchers urbains des berges de la Tsiémé.
À Talangaï, le groupe Femmes pour le Fleuve transforme des bouteilles plastiques récupérées en briques écologiques, mélangées à du sable et du ciment. Dix kiosques de vente d’eau potable ont déjà été construits grâce à cette brique légère et isolante.
Ces initiatives s’appuient sur des applications mobiles, comme Mapeta, qui géolocalisent les points noirs d’ordures afin de diriger les camions de collecte municipale. Plus de 12 000 dépôts sauvages ont été signalés depuis le lancement de l’application, selon son développeur, l’ingénieur Junior Okouango.
Soutien des autorités et partenariats responsables
Consciente des attentes citoyennes, la mairie de Brazzaville a lancé le programme « Ma rue sans déchets » en partenariat avec l’Agence congolaise de l’environnement et plusieurs entreprises privées. Le dispositif subventionne des triporteurs électriques destinés aux pré-collecteurs informels.
Par ailleurs, un accord signé avec la société Oryx Energies prévoit la valorisation du biogaz issu de la décharge de Mpila pour alimenter 2 000 foyers en cuisson propre d’ici fin 2025, réduisant ainsi la pression sur le bois-énergie dans les périphéries.
La Banque de développement des États d’Afrique centrale finance, quant à elle, un projet de station de tri-sélection à Makabandilou. Capacité prévue : 300 tonnes par jour, avec une ligne de recyclage des métaux et une autre dédiée aux plastiques rigides.
Technologies vertes et emplois locaux
Dans l’enceinte de l’incubateur Wenze Tech, de jeunes programmeurs conçoivent des capteurs à bas coût mesurant la qualité de l’air aux abords des marchés. Les données, accessibles en temps réel, orientent les équipes de nettoyage vers les secteurs les plus pollués.
À terme, la municipalité estime que la chaîne déchets-énergie pourrait générer 3 000 emplois locaux, du ramassage au tri jusqu’à la maintenance des digesteurs, offrant des perspectives aux jeunes diplômés sans exiger de lourds investissements étrangers.
Habitants témoins d’une transition
Assise devant sa maison de Poto-Poto, Maman Odile observe les trottoirs fraîchement balayés. « Je n’entends plus les moustiques comme avant », confie-t-elle, sourire aux lèvres. Elle dit avoir repris l’habitude de planter des hibiscus, convaincue que la propreté attire la verdure.
Dans une école de la corniche, l’enseignant Rodrigue Nkouka fait mémoriser le poème de Saro à ses élèves. Chaque strophe donne lieu à des exercices de sciences : identifier une espèce d’arbre endémique, calculer la vitesse de décomposition d’un sachet ou dessiner un plan de jardin.
Vers un retour durable de Brazza-la-verte
Les autorités locales visent une réduction de 60 % des déchets non traités d’ici 2027, en ligne avec la Contribution déterminée au niveau national du Congo. Le plan prévoit aussi la plantation de 500 000 arbres urbains pour atténuer les îlots de chaleur.
Pour accompagner ce virage, l’université Marien-Ngouabi intègre un module « villes circulaires » dans sa licence de géographie. Les futurs urbanistes y étudient la cartographie participative, la modélisation hydrologique et les mécanismes de financement vert portés par la Banque africaine de développement.
En attendant, la poésie continue de tracer la route. À la nuit tombée, il n’est pas rare d’entendre les vers de Maman Saro résonner sur les places publiques : « Elle veut être belle, riche, puissante ». Dans ces mots, beaucoup reconnaissent le futur radieux de Brazzaville renaissante.
