Bouenza, locomotive des réussites scolaires
Il aura suffi de quelques feux d’artifice improvisés dans les foyers de Madingou pour confirmer la nouvelle : avec 99,23 % d’admis, le département de la Bouenza signe l’une des performances les plus spectaculaires de l’histoire récente du baccalauréat technique congolais. Sur 15 843 candidats recensés à l’échelle nationale, 7 681 ont décroché le précieux sésame, portant le taux global à 48,48 %, en hausse de plus de cinq points par rapport à 2024. Au-delà de la seule arithmétique, ce score tutoie l’exploit et consacre un territoire longtemps considéré comme une simple terre de transit économique.
Dans les couloirs du lycée technique industriel 1ᵉʳ Mai, où les résultats ont été proclamés le 13 juillet, l’atmosphère oscillait entre fierté et soulagement. « Nous avions la conviction que la rigueur méthodologique finirait par payer », confie M. Brice Matoumpa, proviseur d’un établissement de Nkayi. Selon lui, l’adhésion communautaire à la politique éducative locale – des sessions de révisions collectives aux partenariats avec les industries sucrières voisines – a constitué un levier décisif.
Réformes structurantes de l’enseignement technique
Le succès bouenzien ne peut être lu sans la grille des réformes initiées dans le sous-secteur de l’enseignement technique et professionnel. L’interdiction de la double candidature – mesure emblématique voulue pour limiter les manœuvres stratégiques et renforcer la sincérité des évaluations – a, de l’avis des inspecteurs, responsabilisé les élèves. « La clarté du parcours supprime l’illusion de la planche de salut annexe », explique le président des jurys, le Dr Armel Ibala Nzamba, qui rappelle que la moyenne d’admission reste fixée à 10/20.
Parallèlement, la digitalisation progressive des dossiers d’examen, l’actualisation des programmes orientée vers les compétences industrielles émergentes et la mise en réseau des centres de formation avec les entreprises publiques et privées reflètent une montée en gamme. Ces orientations s’accordent avec la stratégie gouvernementale de diversification économique inscrite dans le Plan national de développement 2022-2026, lequel ambitionne de doubler, d’ici à 2030, la proportion de jeunes diplômés immédiatement employables.
Indicateurs nationaux : progrès et défis équitables
Si l’amélioration nationale de 43 % à 48,48 % traduit un frémissement encourageant, la carte des résultats demeure contrastée. La Cuvette-Ouest, créditée de 19,83 % d’admis, rappelle que le développement éducatif reste tributaire d’infrastructures, de mobilité enseignante et d’enracinement socioculturel. À Pointe-Noire comme à Brazzaville, le seuil symbolique des 50 % a été franchi, sans toutefois atteindre les sommets bouenziens.
Les statisticiens du ministère évoquent une corrélation stable entre environnement socio-économique et performance scolaire, mais notent que l’écart s’est resserré de trois points en cinq ans. Pour la sociologue Mireille Nkodia, cette tendance « témoigne d’une appropriation graduelle des outils pédagogiques modernisés dans les zones périphériques ». Les marges de progression restent toutefois importantes sur le volet orientation, nombre de candidats exprimant encore des choix de filières dictés par des impératifs de proximité plutôt que par des perspectives professionnelles.
Les voix des acteurs : lucidité et confiance partagée
Interrogé à l’issue de la proclamation, le Dr Armel Ibala Nzamba insiste : « La performance n’est pas un accident statistique ; elle couronne un effort collectif, de la salle de classe au bureau du recteur. » Cette narration de la réussite trouve un écho chez le ministre de l’Enseignement technique et professionnel, M. Ghislain Thierry Maguessa Ebomé, qui souligne « l’ancrage des réformes dans un dispositif de gouvernance plus transparent ». Son homologue de l’Enseignement général, M. Jean-Luc Mouthou, évoque pour sa part « une complémentarité intelligente entre filières », prônant la circulation des bonnes pratiques d’évaluation entre les deux ministères.
Côté familles, l’enthousiasme est tempéré par une conscience aiguë des réalités. À Loudima, Mme Sarah Kinzanza, mère d’une lauréate, se réjouit de la « discipline nouvelle » instaurée dans les établissements, tout en appelant à « maintenir le rythme des investissements pour que l’excellence ne dépende pas des moyens individuels ». Les partenaires techniques et financiers, eux, saluent la trajectoire ascendante du secteur, considérant le niveau actuel comme un signal crédible pour intensifier les coopérations.
Perspectives : capitaliser sur l’élan 2025
Fort de la dynamique 2025, le ministère projette d’étendre les classes passerelles entre enseignement technique et universités technologiques, afin d’élargir le continuum de formation. L’enjeu consiste à transformer l’exploit ponctuel de la Bouenza en norme nationale, tout en consolidant la qualité des évaluations dans les départements moins performants. Les travaux de réhabilitation de dix centres d’examen supplémentaires, programmés pour 2026, devraient fluidifier la logistique et réduire la fracture territoriale.
À moyen terme, l’intégration des modules d’entrepreneuriat, la montée en puissance de l’apprentissage dual et l’accroissement des partenariats Sud-Sud dessinent un horizon où le baccalauréat technique deviendra une pièce maîtresse de la qualification de la jeunesse congolaise. « La réussite n’a de valeur que si elle se métamorphose en compétence productive », résume la chercheuse Mireille Nkodia. L’État, les entreprises et la société civile se trouvent ainsi conviés à poursuivre un dialogue fécond, dans lequel la Bouenza apparaît désormais comme bien plus qu’un simple laboratoire : une référence nationale.